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Citation de Atembien


Est-ce que je n'étais pas en train de me disqualifier? Je me le demandais parfois avec désespoir craignant de trouver un jour devant moi quelque juge à la face terrible, connaissant l'emploi que j'avais fait des minutes de mon existence depuis trois ans. Qu'aurais-je pu répondre ? J'avais commencé un livre pour me justifier et ne l'avais pas terminé. J'avais tendu mes efforts, mes espoirs vers Marcelle, c'est-à-dire vers cette minute de paix que je cherchais parmi les détours de son caractère et du mien, à travers un labyrinthe d'événements obscurs. J'avais cherché Marcelle à tous les carrefours, dans tous les cafés, sur toutes les avenues; j'étais prêt à la chercher dans toutes les villes, afin d'obtenir d'elle, fût-ce par la violence, cet instant d'harmonie qui devait être le signe, le point de départ pour moi d'une vie nouvelle. Oui, je savais maintenant ce que je cherchais sur la terre; je cherchais la Réconciliation. Ces hommes qui jouaient à la belote ne savaient pas pourquoi ils étaient sur la terre. Il fallait que je fusse bien déprimé pour avoir eu un instant l'idée de me comparer à eux. Les voyant, je me sentais relevé vis-à-vis de moi-même. Je le sentais d'abord à la colère que me faisait éprouver leur vue. Ces hommes étaient morts, moi je vivais. Je n'avais pas besoin de chercher comme eux à « tuer le temps». Ah, non! mais c'était le temps qui me tuait, et cela me faisait sentir ma vie davantage. Je vivais. J'avais une vie misérable, mais je vivais. Mon cœur à l'intérieur de moi était tout rouge. Quoi qu'il pût advenir, j'aurais goûté la vie, j'aurais humé sur mes lèvres cette saveur de vase et de sang; même au plus fort de mon dégoût, j'aurais connu les ivresses de la conscience. J'étais conscient même de mes hontes. Je sentais une gêne en moi du côté de Marcelle. Je voulais supprimer cette gêne, et c'était par là que je sentais ma dépendance. Rien ne pouvait faire que je comme fusse si cela, cette gêne, ce souci, comme si Marcelle n'avaient pas été. Je pouvais bien (si les choses impossibles sont de notre ressort) décider, par un décret de ma volonté, l'inexistence, la suppression de Marcelle. Ma conscience me disait que Marcelle existait, qu'on ne supprimait pas Marcelle. J'avais beau me dire que Marcelle n'était pas le véritable objet de ma poursuite, que Marcelle n'était là qu'à la place d'une autre, qui n'était là elle-même que pour autre chose, cela ne la supprimait pas. Décider, par un effort de ma volonté, que Marcelle n'existait pas, c'était me condamner à penser à Marcelle, c'était entériner son existence. Il n'y avait qu'un moyen de supprimer Marcelle, c'était de la faire exister plus fort, de lui donner ma vie. Ou si elle ne voulait pas de ma vie, c'était de vivre une heure, une minute parfaite avec elle; c'était de me rapprocher d'elle, ne fût-ce que pour une heure, une minute, mais assez fort pour qu'il n'y eût plus aucun vide à combler entre nous. C'était cela que je voulais. Il fallait abolir, pendant une heure, tout ce qui nous avait séparés, éloigner de nous toutes les pensées qui ne nous étaient pas communes, afin de réaliser une union sans défaut, d'offrir une fois au monde, avant son engloutissement, un exemple lumineux, de quoi le faire rougir de sa folie : comme si sa folie et la nôtre n'étaient pas la même folie, ne procédaient pas du même foyer allumé à l'aube des temps... Tels étaient l'image, le désir, qui m'avaient guidé jusqu'à Cette ville, qui m'avaient conduit de la rue Boulard à ces rues tristes et inconnues où j'attendais Marcelle. Une heure de ce bonheur, mettons une journée (qu'est-ce qu'une journée ?) mettons une nuit et je tenais Marcelle quitte pour toujours. J'étais sincère, affreusement sincère et affreusement décidé décidé à obtenir, par tous les moyens, cette heure parfaite, qui devait faire de moi un homme libre. J'imaginais la chambre lointaine et sans attache avec la terre où, au plus profond de la nuit, je tiendrais pour une fois le corps et l'âme de Marcelle entre mes bras où je tiendrais pour une fois les yeux de Marcelle sous mes yeux. Je m'en irais content avec cela, j'étais prêt à le jurer; après cela l'univers pourrait se remettre à exister sans Marcelle.
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