L'union pour lutter contre la division nationale
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Ce tome contient une histoire qui peut être lue sans connaissance préalable de l'univers Marvel. Il regroupe les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2021, écrits par Paul Grist, dessinés par Andrea Di Vito (et 1 page par Grist en ouverture de l'épisode 1), encrés par LeBeau Underwood, avec l'aide de Drew Geraci pour l'épisode 1, et mis en couleurs par Nolan Woodard. Les couvertures ont été réalisées par RB Silva (1, 3, 4), Paco Medina (é2), Di Vito (é5). Les couvertures variantes ont été dessinées par Paul Grist, Ema Lupacchino, Mike McKone, Carlos Pacheco, John McCrea, Dave Johnson, Ryan Brown, Lee Garbett.
À la télévision passe un vieil épisode de dessin animé où Britannia défait Doc Croc, grâce à la force de l'esprit de la Grande Bretagne qu'il a sous-estimé. Suit un communiqué du 10 Downing Street indiquant que le gouvernement a constitué une nouvelle équipe de superhéros composé d'un membre de chacune des quatre nations formant la Grande Bretagne. L'équipe est composée de Britannia (Tanya), Choir (Ruth), Kelpie et Snakes. Elle est en ce moment même en train de s'entraîner sur la petite île qui abrite le fort Brean Down. Sur place, Union Jack (Joe Chapman) progresse avec une petite équipe de militaires pour aller planter le drapeau de son équipe à l'extrémité du promontoire, sous l'œil des caméras de l'armée. Dans une émission télé d'opinions, le présentateur et la présentatrice échangent des conjectures sur le nom probable de cette équipe : Projet Britannia selon elle, Team UK selon lui. Union Jack continue d'avancer, mais son dernier équipier marche dans une flaque d'eau, alors qu'il n'a pas plus depuis deux semaines. La flaque d'eau prend vie et englobe le soldat qui ne peut plus respirer. Elle finit par le relâcher, mais il n'est plus en état d'avancer.
Union Jack continue d'avancer seul Il traverse la dernière pièce du fort sans difficulté, et descend en courant la pente pour sauter sur l'îlet où il doit planter le drapeau. Il est stoppé net par une rafale d'énergie alors qu'il allait effectuer cet ultime saut. Britannia l'a intercepté et lui demande de reconnaître sa défaite. Il parvient à se relever à la contourner et à atteindre l'îlet. Mais c'est elle qui a conservé le drapeau. Un journaliste télé indique qu'il est en direct avec Britannia qu'il s'apprête à interviewer. Une des caméras militaires transmet l'image depuis le fort Brean Down. Déçu, il découvre qu'il va pouvoir poser ses questions à Union Jack, et au député James Selwyn. Il n'hésite pas à indiquer que la chaîne n'aurait pas consacré autant de temps si elle avait su que l'interview ne serait pas avec Britannia. Le député ne se démonte pas et le remercie pour l'intérêt qu'il porte au projet Britannia qui regroupe des jeunes héros d'Angleterre, du Pays de Galle, de l'Écosse, et de l'Irlande du Nord. Pendant-ce temps-là, un peu à l'écart, Britannia rappelle à capitaine d'industrie Steve Darwin qu'elle avait exigé qu'il n'y ait pas de logo d'entreprise sur le drapeau. Il lui répond qu'il comprend parfaitement sa position idéaliste, mais qu'il est le plus gros contributeur financier et que la Grande Bretagne a évolué.
A priori, le lecteur est peut-être très peu motivé par une minisérie satellite de l'événement du moment : King in Black (2020/2021) par Donny Cates & Ryan Stegman. Ou il peut être un peu curieux de savoir ce que va raconter Grist, déjà auteur de plusieurs séries indépendantes Kane (1993-2001, 31 épisodes), Jack Staff (38 épisodes, 2000-2011), Mudman (2010/2011, 5 épisodes). La couverture annonce clairement une nouvelle équipe de superhéros britannique, et le lecteur habitué de l'univers partagé Marvel se rend compte qu'il n'en connaît qu'un seul : Union Jack, Joseph Chapman étant le troisième individu à adopter cette identité secrète. L'histoire commence tranquillement avec l'annonce de la formation de cette nouvelle équipe de superhéros, la mise à l'écart d'Union Jack, au profit de membres plus jeunes, et l'arrivée d'un dragon symbiote pour servir d'ennemi générique, sans réelle identité propre. Les dessins sont propres sur eux, avec un degré de détails satisfaisant, dans un registre descriptif et réaliste, des décors représentés assez régulièrement, des actions claires et vives, l'ouvrage d'un bon artisan, avec une mise en couleurs travaillée et complétant bien les dessins avec une approche elle aussi naturaliste.
Pourtant, la lecture exhale une saveur en décalage avec un récit de superhéros traditionnel et basique. Cela commence avec le discours très formaté du porte-parole du premier ministre sur l'unité nationale. Ça continue avec une remarque pleine d'ironie d'Union Jack sur la manière dont la Grande Bretagne a construit son empire : en plantant son drapeau sur des territoires ne lui appartenant pas. De manière organique, un personnage ou un autre effectue régulièrement une remarque de nature adulte : l'origine ouvrière de Joe Chapman, la perte de temps d'antenne à interviewer quelqu'un d'autre que Britannia, le financement privé d'une équipe nationale, les bonus de paye en cas d'atteinte des objectifs, la notoriété sur Instagram, Britannia s'adressant à Union Jack comme à un amant, c'est-à-dire la nation s'adressant au drapeau national, etc. Le scénariste raconte bien une histoire de superhéros : des individus avec des costumes moulants et des couleurs voyantes, des combats avec décharge d'énergie et échange de coups de poing, des ennemis aux capacités tout aussi extraordinaires, en mettant à profit l'univers partagé Marvel.
De son côté, le dessinateur en fait donc plus que le strict minimum. La progression sur le promontoire du fort entraîne le lecteur à la suite du superhéros athlétique et bondissant : traversant les bâtiments, dévalant une pente enherbée, à la fois le plaisir du jeu sportif, et le plaisir du grand air et de l'air marin. Lorsque les superhéros poursuivent le dragon symbiote, ils se retrouvent à Weston-super-Mare, une ville côtière et une station balnéaire dans le comté du Somerset, et le lecteur peut voir la fête foraine, le grand huit, et la promenade le long de l'océan. Puis il accompagne les personnages à la campagne au nord du Pays de Galle, et enfin à l'intérieur de la Tour de Londres. Di Vito prend le temps de représenter ces différents environnements de sorte à en communiquer le relief, l'espace ouvert de la campagne, ou au contraire les espacés fermés de la Tour de Londres. Le lecteur voit bien que les mouvements et les déplacements des personnages sont fonction des caractéristiques de l'endroit où ils se trouvent. Le dessinateur s'investit tout autant dans la représentation des différents personnages et des détails de leur costume. Il sait insuffler de la vivacité et de la force dans les combats, et de la tension dans les scènes de dialogue. Le lecteur n'éprouve pas l'impression de se taper des pages insipides, avec une mise en scène artificielle prête à l'emploi. Il apparaît à plusieurs reprises que l'artiste a bien saisi la saveur un peu moqueuse ou ironique de certains éléments du scénario, comme la personnalité agressive de l'anglais Bulldog, ou la dimension comique du gentil chien Craig.
La qualité de la narration visuelle et les éléments adultes inattendus du scénario retiennent l'attention du lecteur, bien content de s'être lancé dans cette histoire. L'intrigue découle naturellement de la création de cette nouvelle équipe de superhéros, projetée sous les feux de la rampe, lors de l'invasion des symbiotes de Knull, la mort de l'un d'eux au combat, la dissolution de l'équipe, le passé qui en rattrape une, l'arrivée d'un remplaçant, et un criminel qui met à profit leur existence pour s'emparer d'un objet de pouvoir. L'intrigue s'avère tout aussi prenante que les remarques cyniques en passant. S'il n'entretient pas de doute sur le fait que les bons gagnent à la fin, le lecteur se demande comment ils vont y parvenir et qu'elle sera le prix à payer. Il prend également conscience que le scénariste continue de se montrer discrètement subversif : l'ennemi est un individu âgé qui compte bien parvenir à prendre sa revanche sur la société. Ce qui est moins courant, c'est que l'individu par lequel la victoire va pouvoir être acquise est également un homme âgé, la cinquantaine ou plus, et ce ne sera pas par la force physique.
D'habitude, un événement à l'échelle de toute la gamme de produits d'un éditeur à la tête d'un univers partagé est surtout l'occasion de fourguer plus de produits aux consommateurs, d'une qualité souvent sujette à caution. Cette minisérie fait exception. Déjà, l'éditeur a pris le parti de supprimer la mention de King in Black sur la couverture, préférant mettre en avant le nom de la nouvelle équipe : Union. Ensuite, le dessinateur reste le même du début jusqu'à la fin, et il ne bâcle pas ses planches au fur et à mesure des épisodes. Enfin, le scénariste ne se contente pas d'aligner les scènes de combat en se reposant sur le spectacle pyrotechnique des superpouvoirs. Il ne développe pas beaucoup les personnages, mais il a imaginé des superhéros originaux dont les propos attestent qu'il s'agit d'adultes avec un esprit critique. Cette histoire dépare donc fortement des miniséries dérivées d'un événement, et le lecteur se dit qu'il en lirait bien une deuxième réalisée par la même équipe de créateurs, avec des personnages un peu plus consistants.
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