Peter Michelmore

Le livre démarre comme un roman ; on est en novembre 1919, un ouvrier achète le journal avant de se rendre à l’usine ; mais le bus ne passera pas, les transports en commun ont été réquisitionnés par le ministre de la Défense nationale. Cet ouvrier porte le nom allemand très banal de Hans Bauer – ce n’est pas le footballeur (né en 1940), ni le futur SS (né précisément en 1919) ; anonyme d’entre les anonymes, Hans Bauer est le seul personnage de fiction de cette biographie d’Einstein dont la traduction en français paru dans une collection pour adolescents ; sa seule fonction dans l’histoire, découvrir en même temps que le lecteur le grand homme qui cette année là (1919) est sorti du cercle fermé des physiciens pour devenir une pop star universelle ; Albert Einstein. A Londres sir Arthur Eddington venait de valider sa relativité générale en publiant des observations d’ étoiles autour d’une éclipse solaire. À la moitié du premier chapitre, de Hans Bauer il n’est déjà plus question ; nous ne le reverrons pas.

Lorsque cette biographie est publiée à New York en 1962 (« Einstein, Profile of the Man » Dodd, Mead, 1962) Einstein est décédé depuis 6 ans. Le mythe est déjà écrit dans sa version canonique ; d’autres biographes avaient déjà travaillé ; son immense génie contrastés par ses petits défauts si touchants qui le rapprochent de nous. Ainsi, sa réputation de mauvais père est déjà pointée ; mais l’aura d’Einstein éclaire le destin de ses deux épouses et de ses enfants avec des couleurs acidulées, sans nuances ; avoir acquis le nom d’Einstein leur aurait été comme une sorte de grâce. Il faudra attendre l’acharnement féministe de certains biographes, l’ouverture des archives Einstein (protégées de la lumière trop crue de l’histoire par la plus dévouée des secrétaires, Hélène Dukas, jusqu’au décès de celle-ci et le transfert manu militari de tous les papiers d’Einstein de Princeton vers l’Université de Jérusalem en 1982) pour rendre justice à ces personnes.

Si ce livre n’est pas l’hagiographie d’un saint laïque, c’est qu’il cherche à montrer à des adolescents en pleine construction de soi, le destin exceptionnel d’un homme qui aspira à cette sorte de sainteté laïque – au cœur de laquelle se trouvent l’esprit de vérité, de justice et d’amour de l’autre – et qui finalement n’y est pas vraiment parvenu. Le mythe de sa grandeur consiste en la croyance qu’Einstein l’aura voulu plus fort que les autres cet idéal là ; mais son génie bien réel se cantonnait dans la physique ; nombre de ses écrits prouvent qu’Einstein le savait fort bien. Il faudra attendre d’autres biographes pour nuancer le portrait du grand homme et lui donner raison.