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Citation de Nastasia-B


Philippe Fabry
{N. B. : Je ne partage pas la vision libérale de l'auteur, mais je trouve les définitions des termes intéressantes.}

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que gauche et droite d’une part, libéralisme et socialisme d’autre part désignent des choses qui n’appartiennent pas du tout au même domaine. Libéralisme et socialisme appartiennent au domaine des idées politiques. Gauche et droite sont des sensibilités politiques. Il n’y a donc aucune idée qui soit de gauche ou de droite. Au contraire, historiquement, les idées politiques voyagent dans le champ des sensibilités politiques, toujours de la gauche vers la droite. Et je voudrais montrer que si nous comprenons bien comment fonctionne le système droite-gauche, nous pouvons tirer de précieux enseignements […].

QU’EST-CE QUE « LA GAUCHE » ET « LA DROITE » ?

Gauche et droite sont des sensibilités politiques, c’est-à-dire des tendances non raisonnées, des ensembles de préoccupations instinctives qui dépendent du sujet considéré. Imaginons un axe allant de l’extrême-droite à l’extrême gauche. De tout temps on trouvera :
- à l’extrême-droite : les réactionnaires, soit ceux qui pensent que c’était mieux avant, qu’il faut renverser l’ordre politique existant et revenir au statu quo ante, généralement un passé idéalisé.
- à droite : les conservateurs, soit ceux qui pensent que les choses sont plutôt bien telles qu’elles sont, et que si l’on change ce sera pire.
- à gauche : les progressistes, soit ceux qui pensent que les choses peuvent être améliorées et que si l’on change, cela sera mieux.
- à l’extrême gauche : les révolutionnaires, soit ceux qui pensent que le système est entièrement mauvais, que ce qu’il y avait avant était aussi mauvais ou pire, et qu’il faut instaurer un nouveau modèle idéal.

Dans cet ensemble, on constate aisément que les extrêmes partagent leur mentalité du bouleversement, alors que progressistes et conservateurs se retrouvent dans leur adhésion au système en place. Dans le groupe des extrêmes on trouve toujours une minorité d’individus, la majorité étant constituée de ceux qui adhèrent globalement au système en place.

Rien, dans cette répartition suivant la sensibilité, n’est dû à une réflexion. Personne n’est de droite ou de gauche pour des raisons intellectuelles, puisqu’il n’est pas question d’idées. Droite et gauche sont des réalités sociologiques, voire anthropologiques, mais certainement pas rationnelles.

Le fait qu’il s’agisse de sensibilités, et qu’elles soient ce qu’on en a dit, distribue logiquement la population comme suit :
- À droite une population globalement plus âgée/plus installée économiquement, qui a tout intérêt à la préservation du système et voit d’un œil inquiet tout changement éventuel : la droite se caractérise par la tendance au pessimisme ; c’est le camp qui porte le discours décliniste et dont les valeurs sont l’ordre, l’autorité, la tradition, le respect des institutions.
- À gauche une population globalement plus jeune/moins installée économiquement, qui pense gagner à des réformes et porte un regard critique sur ce qui se fait traditionnellement : de tendance optimiste, la gauche porte le discours idéaliste, qui est contestataire et se définit principalement en opposition avec ce que défendent les conservateurs.
- Aux extrêmes on trouve nécessairement des gens qui auraient beaucoup à gagner d’un changement brutal de paradigme, mais ce qui les distribue est l’origine de leur situation d’exclus du système : ceux qui appartenaient jadis à une population favorisée et ont été déclassés seront d’extrême-droite, nostalgiques d’une période plus faste pour eux (exemple : les nobles ruinés déchus d’Ancien Régime au XIXe siècle), alors que ceux qui appartiennent à une population défavorisée d’origine nouvelle seront d’extrême-gauche (exemple : les ouvriers de l’industrie du XIXe siècle).

Étant des sensibilités, qui se distribuent dans une population selon la loi des grands nombres, n’importe quelle population suffisamment importante se verra toujours composée à peu près moitié/moitié de gens de gauche et de droite. On ne voit, à l’échelle d’un Etat, jamais une population à 95% de gauche ou de droite. […]

LA VARIATION DE SENS

Dans n’importe quel système politique, les idées naissent à l’extrême gauche et meurent à l’extrême droite. De la façon suivante :
- À l’extrême-gauche sont ceux qui, contestant absolument l’ordre existant ou ce qui a précédé, sont ouverts aux idées nouvelles de changement le plus radical ; c’est donc ici qu’apparaissent, systématiquement, les idées nouvelles dans leur formulation la plus violente.
- À gauche sont ceux qui cherchent à améliorer l’existant, mais ne sont guère enclins à la violence ; ils s’inspireront souvent de ce que la critique extrémiste peut avoir de plus aiguisé, mais le transposeront pour proposer des réformes plus mesurées, allant dans le même sens.
- À droite sont ceux qui veulent maintenir le statu quo. Ils cherchent donc à conserver ce qui existe déjà, le défendent comme bon en soi, et répugnent aux changements d’un système qui leur semble d’expérience avoir fait preuve d’efficacité.
- À l’extrême-droite sont ceux qui regrettent le temps passé et cet ordre précédent que les conservateurs de l’époque n’ont pas réussi à maintenir.

Cette structure favorise le déplacement des idées. En effet les progressistes proposant des réformes années après années, finissent toujours par les imposer à la droite, par faibles doses successives, en portant régulièrement des réformes très mesurées, sur un mode de compromis entre réforme et tradition.

Or au fil du temps, une ou deux générations, il advient que l’ordre établi est un ordre qui a été progressivement changé. Mais la mentalité conservatrice, elle, demeure, et les nouveaux conservateurs seront des gens qui défendront le nouvel ordre établi. À l’extrême droite seront repoussés ceux qui sont encore attachés à l’ancien ordre.

Semblablement, à gauche, les nouveaux progressistes sont des gens qui considèrent comme ordre établi ce qui fut en réalité un ordre instauré suivant les idées des progressistes quelques décennies en arrière. Et en progressistes, ils contestent cet ordre établi et veulent le réformer, le modifier ; ils contestent même directement ce que les progressistes de jadis défendaient. Et pour cela, ils adoptent des idées plus radicales, celles de l’extrême-gauche de deux décennies plus tôt.

L’extrême-gauche, elle, en vient à inventer de nouvelles formes de contestation, puisqu’elle est composée d’individus qui se sentent exclus par le système et veulent en changer. Un bon exemple de variation de sens en France est celui du régime politique. Voici quels régimes politiques défendaient les diverses sensibilités de la Révolution à la fin du XXe siècle (les dates sont approximatives) :

1789 — extrême gauche : république ; gauche : monarchie constitutionnelle ; droite : monarchie traditionnelle ; extrême droite : monarchie féodale (réaction nobiliaire).
1840 — extrême gauche : république sociale ; gauche : république ; droite : monarchie constitutionnelle ; extrême droite : monarchie traditionnelle.
1900 — extrême gauche : république socialiste ; gauche : république sociale ; droite : république ; extrême droite : monarchie.
1980 — extrême gauche : république communiste ; gauche : république socialiste ; droite : république sociale ; extrême droite : république.

On voit bien sur ce tableau le déplacement de gauche à droite des idées politiques. Certains analystes disent aujourd’hui, à tort, que la France est « gauchisée » parce que la pensée socialiste y a profondément pénétré. C’est une erreur : c’est assimiler « gauche » à « socialisme ». Or, répétons-le, les idées naissent toujours à gauche, mais ne sont pas « de droite » ou « de gauche ».

Dans la même veine, songeons au libéralisme : c’étaient les idées des révolutionnaires, de gauche, de 1789. En 1840, le libéralisme était devenu une valeur de droite, défendue par des individus comme Adolphe Thiers. En 1910, elle était une valeur exclusivement de droite, la gauche étant devenue socialiste. Dans les années 1980, il n’y avait plus guère que l’extrême-droite pour se dire reaganienne, et Jacques Chirac, lorsqu’il avait des positions libérales, était considéré comme très à droite. Et aujourd’hui, politiquement, le libéralisme est mort en France. Il a disparu à l’extrême-droite, remplacé par le socialisme nationaliste aujourd’hui porté par Marine Le Pen.

Issu de " Gauche, droite : de quoi il s’agit vraiment, et pourquoi les libéraux gagneraient à le comprendre " sur le site internet www.contrepoints.org, publié en ligne le 5 avril 2013.
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