La réponse du diplomate sans langue de bois, mais très Ponce Pilate, avait sidéré les chefs de service présents autour de la table.
- Vous pouvez y aller, mais je ne suis pas au courant.
Brassac, avec sa démarche naturelle chaloupée, réalisa un véritable exploit en contournant ces obstacles sans se mettre à la faute. Il avait toujours eu un équilibre instable. Antonis ne manqua pas de se moquer de lui.
- Tu me fais penser au crabe, le jour de son mariage !
- C'est quoi encore cette histoire ?
- Le crabe avait fait un effort pour marcher droit en rentrant dans l'église, mais dès le lendemain, sa femme lui gueulait dessus parce qu'il zigzaguait à nouveau. Et il lui à répondu : "je ne vais quand même pas me bourrer la gueule tous les jours pour te faire plaisir !" raconta Antonis mort de rire.
- Le passé est une tâche indélébile, on ne l'efface jamais, il refait toujours surface, philosopha Brassac.
La politique de l’autruche était à l’honneur ici. Cela convenait à tous dans cet univers ouaté sans aucune place pour le conflit, l’urgence ou le stress. C’était le monde du non-dit avec un grand détachement par rapport aux évènements. Le message lénifiant, diffusé par la majorité des interlocuteurs chypriotes et relayé par la communauté internationale tranchait avec le discours de l’ambassadeur.
Ah ben, il y a peut-être un moyen, si on met les deux en contact. Chacun fait les courses de l’autre et ils échangent les produits sur place.
— Alors là, laisse tomber. Impossible, ils ne peuvent pas s’encadrer. C’est dans leurs gènes. C’est pire que la guerre.
— Mario, la guerre n’a jamais empêché le commerce. Ça a même favorisé le marché noir.
Les Chypriotes grecs, plutôt jeunes, se mêlaient au Chypriotes turcs de tous âges. Tous fantasmaient sur l'avenir de l'île.