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Citation de ChouettedeMinerve


Pendant une saison, au début des années 1990, j'ai assuré à "L'Heure de vérité", émission politique de la chaîne publique alors appelée Antenne 2, le portrait en direct de l'invité. A la fin du printemps, le producteur de ce rendez-vous, François-Henri de Virieu, m'annonça qu'il avait reçu du nouveau président de la chaîne, Hervé Bourges, la consigne formelle de mettre un terme à ma collaboration. L'ordre venait du "château". Il avait été transmis à Bourges par le secrétaire général de la présidence, Hubert Védrine. La faute en était à un portrait de Mitterrand que j'avais fait en sa présence, non à Antenne 2 mais à France Inter. M'abritant derrière Montesquieu, j'avais brodé sur le thème "il y a de mauvais exemples qui sont pires que des crimes et plus d'Etats ont péri parce qu'on a violé les moeurs que parce qu'on a violé les lois". Puis j'avais emprunté au baron de la Brède cette description que j'avais feint de prendre pour celle du président en exercice : "Il réussit médiocrement dans le gouvernement de l'intérieur, et, pendant qu'il traite avec supériorité avec les rois, il est la dupe éternelle de ses courtisans. Il a un souverain mépris pour tous les hommes et ne connaît point cette distance qu'il y a entre l'honnête homme et le méchant, ni tous les degrés qu'il y a entre ces deux extrémités." C'était sans doute promener ma tête assez près du billot, mais la gauche ne célébrait-elle pas dans son grand homme le libérateur des ondes (et encore aujourd'hui) ?

Virieu était un curieux garçon. Il ne manquait pas de contradictions. Il mêla à la pusillanimité d'avoir accepté l'ordre du château la franchise de m'expliquer pourquoi. Une grande part de ses revenus provenait d'activités extérieures à Antenne 2 : animations de conventions et autres "ménages", selon le terme en vogue dans les rédactions audiovisuelles. Perdre "L'Heure de vérité", c'était avoir une boutique sans vitrine et marcher à la ruine. Il acceptait donc d'avaler cette couleuvre. Sans doute étais-je déjà trop familier des moeurs de la presse française (si différentes de celles des pays anglo-saxons mais aussi de celles des autres pays latins) pour m'étonner ou me fâcher de cette décision et de son acceptation. D'ailleurs, aucun des confrères, collaborateurs réguliers de "L'Heure de vérité", ne trouva quoi que ce soit à redire à mon licenciement, bien que chacun sût à quoi s'en tenir... Et puis j'aimais bien Virieu, ces choses-là ne se commandent pas. Enfin, il est si rare que celui qui vous met à la porte soit celui qui vous en informe, que je lui sus gré d'avoir eu au moins ce cran-là. Nous vidâmes donc un verre ensemble. Comme il était soulagé que je ne fasse pas tout un plat de ma mise à l'écart, Virieu me glissa quelques confidences sur les nombreuses interventions du château. Pour déconseiller tel invité, recommander tel autre, dont on voulait tester l'impact auprès de l'opinion avant d'en faire ceci ou cela... Je lui demandais si cette pratique était récente ou si elle avait commencé dès le premier septennat. J'appris que dès l'aube de son avènement, Mitterrand avait eu son petit monde audiovisuel à l'oeil et que l'un des commandements les plus formels et les plus inattendus que le producteur de "L'Heure de vérité" avait reçu de l'Elysée était celui d'avoir à inviter Jean-Marie Le Pen, en 1985.

P69 à 71.
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