Vidéo de Philippe Nicolas
Peu importe ce que j’ai vécu, la vie m’invite à chaque instant. Est-ce que je la rejoins et qu’est-ce qui m’empêche de la rejoindre ?
Tout commence, recommence toujours : perpétuel avenir...
Le monde moderne ennuie le moucheur, alors ce dernier s'échappe sans cesse. Pour fuir, mais non se fuir. Pour, d'urgence, redonner la suprématie à la nature sauvage, y cultiver le recueillement, le silence, se dégager de ses émotions, prendre le temps de réfléchir, de redécouvrir l'essentiel dans son existence. Et résonner et vibrer au chant du moulinet pour un poisson d'argent qui fuse.
Je confesse dialoguer régulièrement avec le Sioux Oglala Élan Noir lors de mes sorties de pêche, quand j'appelle l'abondance, interrogeant la piste qui me conduira aux salmonidés. Il y a des truites qui me tiennent en haleine jusqu'à la brunante au milieu de la rivière, tant par leur mouvement que par leur comportement. Par mes entrées en eau vive, je finis par purifier mon corps d'homme des villes ; je suis lavé. Je me perçois différemment ; je me sens homme naturel intégré au monde de la rivière. Je pêche sans pêcher vraiment. J'ai appris très tôt à me fondre, à me couler dans la prodigalité de la nature dans de véritables célébrations. À chaque fois, cette fête des sens me donne envie d'entrer dans des niveaux de conscience subtils où rien n'est séparé. Ma folle fierté : celle de tutoyer les frères Mac Lean dans leurs parties de jeu avec les molécules d'eau de la Blackfoot Rivière.
Quand je parle du silence, je ne veux en rien m'exprimer sur un silence isolé, emmuré, centré surmoi seul; je veux ici parler d'un silence ouvert, disponible aux échos du monde, et que seul le pêcheur ressent à sa juste valeur.
Se réjouir du printemps, de l'été, se réjouir également de l'automne, se réjouir tout autant de l'hiver, n'est-ce pas exister simplement en laissant à la rivière son intimité méritée?
Affranchi du conditionnement de la réussite, l'esprit de la pêche se révèle enchanteur lorsqu'il prodigue aux moucheurs la grâce de se rendre dignes de la rivière en vivant notamment une incroyable connivence avec elle.
Il faut apprendre à percevoir l'invisibilité qui sous-tend le visible.
Dimanche, en voulant couper le fil avec mes dents, une truite - une belle - dans l'échange de nos souffles m'a laissé sous la lèvre inférieure deux petites griffures de sang comme un gage de complicité ou une gratitude pour la vie redonnée ; je m'en ressens d'autant plus truite maintenant.
Le poisson est mon éducateur, mon formateur, il peut même devenir mon frère. Je me souviens d'un sandre sur la berge de la grande ballastière d'Arques-la-Bataille, tel un homme étendu sur l'herbe, animé de spasmes ; je me souviens de ses nageoires pectorales en mouvement tels des bras ; je l'ai perçu comme un frère. Cette toute sensible fraternité avec le monde naturel me renvoie vers des amis des Peuples des Premières Nations.