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Citation de Partemps


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Mais voici l’essentiel : la poésie, la musique. Pas Mahler ni Wagner ("trop de choses là-dedans"), mais Haydn, Mozart, Schubert. On écoute, on réécoute, Beckett lève les yeux et les baisse, les larmes ne sont pas loin. On a bu un haut-brion ("nectar") ou un rieussec. On s’est moqué d’un éditeur (lequel ?) dont Sam a dit "qu’il ne maintient pas la tête de ses auteurs hors de l’eau". "Après moi le déluge ?", questionne Anne. "Pendant moi le déluge", conclut Beckett. Plus que tout, on a récité des poèmes : Yeats, Dante, Villon, Hölderlin, Milton, Shakespeare ("personne n’a écrit comme lui"). Avigdor lit des psaumes en hébreu, l’anglais lui répond rythmiquement comme s’il était fait pour l’entendre. Parfois, Sam et Avigdor se lèvent, le poing serré, pour déclamer un vers. Du français ? Apollinaire. De l’allemand ? Goethe. De l’italien ? Dante et encore Dante. Beckett se met même au portugais pour lire Pessoa. "Hail, holy night" ("Salut, sainte lumière"). Anne Atik note : "Il levait la tête et marquait une pause, laissant la phrase monter comme l’eau dans une fontaine." Toute la concentration constante de l’auteur de Pas moi se révèle dans ces moments : consonnes, voyelles, rimes, chantonnement en couleurs, à l’opposé de ce qu’il demandait à ses comédiens (ton neutre et monotone, voix blanche). A l’intérieur, en privé, comme un secret, la modulation. A l’extérieur, au théâtre, pour le spectacle réglé mathématiquement, pour le public, donc, le vide, l’absence. C’est le monde qui est en détresse, pas la mémoire vivante. Les sonnets de Shakespeare sont là, Le Roi Lear est là ("irreprésentable"). Beckett, dit Anne Atik, était "un lecteur omnivore". Très vite : Samuel Johnson, Rabelais, Ronsard, Racine (pour ses monologues), Flaubert, Nerval, Verlaine, Rimbaud, Jouve, Pétrarque, Maurice Scève, Sterne, Defoe, Stevenson (ses lettres), etc. Et Joyce ? Ah, Joyce ! Ici une anecdote révélatrice : Crevel, un jour, apporte le Deuxième Manifeste du surréalisme à Joyce pour savoir s’il le signerait. Joyce le lit et demande à Crevel : "Pouvez-vous justifier chaque mot ?" Il ajoute que lui, dans ce qu’il écrit, peut justifier chaque syllabe. Shakespeare, Joyce, la Bible. Et encore. Pour l’effet physique, pour l’émotion. Grande émotion du langage. Par exemple, juste cette formule de Keats pour le rossignol "full-throated ease", "aisance de gorge pleine". Autrement dit : tout est dans la voix. Autre formule de Boccace à propos de Dante : "La douce odeur de l’incorruptible vérité." La voix peut avoir le parfum de la vérité.
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