TROUBADOURS Réflexion sur le 'trobar' par Pierre Bec (Documentaire, extrait, 1996)
Intervention de Pierre Bec, universitaire érudit, dans un documentaire intitulé 'Le chant de l'alouette ou l'héritage des troubadours', réalisé par Patrick Cazals, en 1996, et produit par Les Films du Horla.
J'ai au cœur tant d'amour,
de joie et de douceur,
que l'hiver me semble fleur
et la neige verdure.
Bernard de Ventadour
Mais d'autre part, du moins en pays occitan, la femme mariée pouvait jouir de presque tous les droits de son seigneur, ce qui impliquait aussi des devoirs. Elle pouvait remplacer son époux pendant son absence et gérer ses propres biens dans une relative indépendance. Comme fille de seigneur féodal, elle héritait des domaines de son père avec les mêmes droits que ses frères et soeurs, tandis qu'au Nord, les filles devaient fournir une dot. Le domaine féodal était donc accessible à la femme et la responsable du fief pouvait être tutrice, recevoir et prêter des serments de foi et d'honneur, présider aux jugements civils et militaires, battre monnaie, lever des impôts, etc. : en somme, se comporter en véritable souveraine sur toute l'étendue de son fief.
Ami, j'ai tant de peine et de ressentiment de ne point vous voir que, quand je pense chanter, je pleure et je soupire, si bien que mes couplets ne sauraient accomplir ce que voudrait mon coeur.
Clara d'Anduza (XIIème ou XIIIème siècle)
La dame-poétesse reste donc bien dans le système, mais elle s'y intègre beaucoup moins en tant que femme, c'est-à-dire avec l'expression éventuelle de sa féminité authentique, qu'en tant que "dòmna", c'est-à-dire, encore et toujours, comme protectrice et dominatrice.
Ar em al freg temps vengut
Que'l gèls e'l nèus e la fanha.
E l'aucelet estàn mut
Qu'uns de chantar non s'afranha ;
E son sec li ram pels plais,
Que flors ni fòlha no'i nais.
Ni rossinhòls non i crida
Qui lai in mai me reissida. .
Nous voici maintenant parvenu au temps froid
Avec le gel, la neige et la boue.
Les oiselets sont muets
Et aucun d'eux ne s'efforce à chanter.
Les branches dans les haies sont sèches,
Et ni fleur ni feuille n'y naît.
Le rossignol n'y chante plus,
Lui qui là-bas en mai me réveille
Azalaïs de Porcairagues (XIIème siècle)