Je me suis construit en trahison forcée avec les références essentielles de mon cadre social, mais en pleine conformité avec les idées de mon temps. J’ai bourlingué partout dans le monde, ils n’ont pas quitté Genève et ses environs ; j’ai recherché les lieux culturels comme ils ont recherché les plaisirs humbles ; je me suis plongé dans des multitudes de livres dont ils ignoraient l’existence ; j’ai accumulé les conquêtes sans lendemain quand ils louaient la fidélité ; là où travailler ne pouvait se concevoir que par l’usage des mains, j’ai opté pour la cérébralité. De cette trahison, source de malaise, il m’est resté une sourde culpabilité et un sentiment d’absurdité devant l’insignifiance de mes préoccupations d’intellectuel et de ma quête d’esthétique. Dans ma course vaine, je n’ai pu bien respirer ni dans un monde ni dans l’autre.