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Citation de Coco574


Le soleil couchant saigne sur Vénasque. Les fragiles étoiles du ciel répondent aux étoiles de Luchon qui s’allument en bas, au-dessous de moi, à la rencontre des vallées.

Je ne vois rien d’abord. Rien que la masse bleue des montagnes habillées de feuilles, et les étoiles légères de la terre et du ciel. C’est ce moment rapide entre la lumière et la nuit où les manteaux de l’ombre étouffent les cris et les rumeurs. On ne distingue pas un fil blanc d’un fil noir.

Les montagnes de Vénasque barrent le ciel.

Je me penche et j’écoute. Quelqu’un marche là-haut. Et quel est celui-là, je vous le demande ? Un faucheur qui rentre vers sa maison, un berger qui cherche son troupeau ? Un chasseur perdu, un marchand de safran ou d’oranges ? Ou bien quelque joueur de guitare…

Le vent m’apporte l’Espagne. Il sent la tomate et le fer, le touron et le cuir. Et tout surgit soudain et se mêle. De France et d’Espagne, tout me revient, les fleurs et les visages. Les corolles innombrables des seringas, la griserie des chèvrefeuilles dans le soir, les maïs et les premières vignes de la plaine, ces hautes vignes au pied desquelles on entasse des cailloux pour conserver la chaleur… Taisez-vous ! Taisez-vous ! Laissez-moi écouter mon cœur.

Les yeux clos, je regarde les routes fraîches qui se creusent entre les peupliers tremblants, et l’eau glaciale qui s’irise dans les troncs d’arbres évidés. La romance d’une cascade se prolonge d’un tintement de clarine. Tout est pur.

Mais qui marche, là-haut, sur les sentiers invisibles ? Je vous le demande. Est-ce le berger ou la Bête, le chasseur ou la proie ? Voici l’odeur de la Bête. Et voici la Bête qui descend vers ma maison. Il ne faut pas fermer les yeux.

Prends garde, lecteur. Il m’arrivera de faire parler les gens de là-haut ou de parler à leur place. Les faire parler longtemps, c’est difficile : les mots d’encre et de papier ne peuvent pas toujours être fidèles. Et pourtant, ces voix de mes Pyrénées, je les garde en mémoire, lentes, rudes, caressantes, roulant les r comme les cailloux dans les nestes et les gaves, chantant les finales et les inversions, avec des tournures espagnoles ou basques… Je me souviens des écoliers qui écrivaient : « Marche le bouvier devant sa velle… Bourdonne l’abeille vers la ruche… » Voix de neige et de bois, de sarrasin et de lait, d’herbe sèche et de pomme. Je me souviens d’une pomme à goût de violette et d’une prune à goût de rhum. Quand les voix des fontaines sonnent à mes oreilles, j’y retrouve des repas d’amandes et d’agneaux rôtis, des veillées de crêpes et de vin cuit aromatisé d’écorce d’orange. Elles tremblent, ces voix, tout contre mes lèvres et les brûlent comme des cœurs adolescents, comme l’eau neuve jaillie du glacier. Alors, toutes les vallées se déploient entre mes bras, et l’air vaste de la frontière gonfle ma poitrine. D’un seul coup, il me livre les violettes froides de mars, les narcisses entre les rocs, l’acre douceur des buis et des églantiers dans le soleil. Et l’aurore qui jaillit des lacs comme une femme.
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