Sterne
montant vers la mer
toujours elle affleure
son aile est une île.
Seuls quelques-uns le peuvent. Connaître la joie
Par la route blanche de la misère. Solitaires
Comme Dieu qui ne brise pas son silence ils voient
Les formes fleurs des sens les barques leurs chaînes.
Seuls quelques-uns le peuvent. Retenir ce fleuve
Qui emporte les autres. S'y noyer parfois
Pour revivre. Temps simultané ici et là.
En bas Jésus prêchant et plus haut la colline.
Seuls quelques-uns le peuvent. Ils font l'histoire.
Les rois meurent, les provinces cessent, les soldats
De la révolution descendent en auto l'espoir.
Seuls quelques-uns le peuvent. Écrire le Livre.
Solitaires fragiles sous les terribles pas.
Aucun phare n'éclaire leur lourde nuit marine…
ce sont messages de soleil /2
ce sont messages du soleil
paysans et chardonnerets
et les oiseaux volent en croix
et les paysans bleus et jaunes
ce sont messages du soleil
Lafleur le rouge, Sandrine la bleue,
et ils habitent une peinture
de Vermeer ou de Monet
Nous eûmes une belle jeunesse. On perça
Notre cœur qui n'avait pas fini de mourir.
Sur notre enfance passèrent les soldats.
Nous eûmes honte. L'homme par nous n'a pas fini de
souffrir.
Nous crûmes à la révolution. Nous eûmes
Notre petite croyance. Un congrès cassa
La tige. Au lieu de voir les fleurs nous vîmes les monstres.
Nous seront morts lors de l'autre printemps.
Nous eûmes une belle jeunesse. La honte.
Puis un amour qui fut une honte. Et le silence.
Un-deux les jambes, trois les bras, on remonte
Et on redescend. Nousd eûmes une belle jeunesse.
Beaucoup de pas dans le monde immobile —
Le poids de l'immortalité dans chacun de nos pas.
une flamme se pose sur la bougie
une flamme se pose sur la bougie
‒ un papillon éclaire le jardin
plus tard, flamme et fleur se croisent
le soleil est un livre rayonnant -
c'est ainsi que l'oncle Pierre voit sa bibliothèque
‒ une collection de soleils
l'oncle Pierre dit aussi :
mon jardin navigue de saison en saison,
il longe les autres jardins ‒
je voyage avec lui
l'oncle regarde le bois de sapins
il me dit : « c'est un temple grec»
l'oncle s'arrête, il regarde la Terre
qui passe au-dessus du village ‒
« la Terre est un pont », dit-il
dans le jardin aussi
les vagues se plient, se déplient
jusqu'aux plages belles et immobiles
reflété dans la fenêtre de la grand'mère
on voit le jardin qui longtemps pense
[…]
ma mère à la fenêtre tricote
... L'enfant regarde la Terre tourner
elle présente le Christ la Vierge Saint Jean
l'Âne le Bœuf
‒ ses doigts tournent en rond les pages du recueil
est rassuré d'avoir dans sa mémoire
la Poule Noire de Grand-Mère
‒ cette cour de ferme les poussins le gros chat
pendant que son livre d'histoire reste de glace
« Il est midi ! » crie la mère
tout alors scintille
il regarde le plumier son corps étroit
le porte-plume étroit dans sa main minuscule
qui grandit
il a trouvé une colombe morte
« elle est maintenant dans l'Oubli » lui dit sa mère
il pense : l'oubli doit être clair et doux
[…]
[…]
J’ai vu le fleuve se couvrir d’ombres
laissant à sa source son bouquet de clartés
tout au long de son cours
cette eau qui rentre dans l’eau et sort de l’eau
la promenade perpétuelle des eaux
la promenade perpétuelle des eaux
un ange parfois est là assis
dans les roseaux, il regarde
la Somme sort continûment d’elle-même
tire une barque, un poisson, un oiseau
elle nage, elle écrit,
elle vole presque
on la voit tricoter, laine bleue, jaune, blanche,
dans sa profondeur
l’étang coule lentement dans la hauteur :
l’évaporation est son cours
on suit une ligne au milieu du fleuve
la Somme fait une fuite
comme un renard qui file dans les blés
L’eau peint. […]
Beauté
Beauté
Je passe ma vie à t'unifier
Je dis « la rivière » comme on dit « Le Printemps de Botticelli ».
Rivière : un violon, un archet
Et la Beauté s'enquiert de moi
Sans cesse elle doute si je suis
Elle est.
Me cherche-t-elle ? Des voix tombent de ses mains :
Qui es-tu ?
Où es-tu ?
Quand es-tu ?
…
Nous eûmes une belle jeunesse. Il advint
Que par amour nous voulûmes mourir. Folie.
Sur les trente ans on nous arracha les deux mains.
Mais pour rire on nous laissa notre vie.
Tel II fut. Je viens de relire Aristophane.
C'est effrayant et vert comme rien n'a vieilli.
Prends le vase, jette ces roses qui se fanent.
Les fleurs les plus fraîches ne passent pas midi.
Et toujours ces questions si vieilles que nous sommes
Fatigués de ne pas répondre. Faire la somme
De nos connaissances, de nos amours, de nos chants,
Vivre et être vécu n'est pas une réponse,
Et Dieu, cela fait si longtemps ! Où est-Il ?
Perspectives finales : midi — la mer...
23.
la pomme devient poème
l’abeille courte devient abeil
les abeils et les soleilles se rapprochent
du presbytère
on y voit plus clair quand le poète
fait son orthographe
les abeils semblables à la lumière
et aux dentels –
les abeils, les abbés, les abbayes
proches maintenant
de la soleille
l’enfant regard’ le mur de l’écol’
par où passent triangles, losanges et sphères –
ainsi les papillons, les abeils, les libellules –
le Vieil homme ne perd rien en perdant la vie
– il atteint le cielle et l’abeil
//extrait 2 de Heureux les oiseaux, ils vont vers la lumière, ed. des Vanneaux, 2005