Seuls quelques-uns le peuvent. Connaître la joie
Par la route blanche de la misère. Solitaires
Comme Dieu qui ne brise pas son silence ils voient
Les formes fleurs des sens les barques leurs chaînes.
Seuls quelques-uns le peuvent. Retenir ce fleuve
Qui emporte les autres. S'y noyer parfois
Pour revivre. Temps simultané ici et là.
En bas Jésus prêchant et plus haut la colline.
Seuls quelques-uns le peuvent. Ils font l'histoire.
Les rois meurent, les provinces cessent, les soldats
De la révolution descendent en auto l'espoir.
Seuls quelques-uns le peuvent. Écrire le Livre.
Solitaires fragiles sous les terribles pas.
Aucun phare n'éclaire leur lourde nuit marine…
Nous eûmes une belle jeunesse. On perça
Notre cœur qui n'avait pas fini de mourir.
Sur notre enfance passèrent les soldats.
Nous eûmes honte. L'homme par nous n'a pas fini de
souffrir.
Nous crûmes à la révolution. Nous eûmes
Notre petite croyance. Un congrès cassa
La tige. Au lieu de voir les fleurs nous vîmes les monstres.
Nous seront morts lors de l'autre printemps.
Nous eûmes une belle jeunesse. La honte.
Puis un amour qui fut une honte. Et le silence.
Un-deux les jambes, trois les bras, on remonte
Et on redescend. Nousd eûmes une belle jeunesse.
Beaucoup de pas dans le monde immobile —
Le poids de l'immortalité dans chacun de nos pas.
…
Nous eûmes une belle jeunesse. Il advint
Que par amour nous voulûmes mourir. Folie.
Sur les trente ans on nous arracha les deux mains.
Mais pour rire on nous laissa notre vie.
Tel II fut. Je viens de relire Aristophane.
C'est effrayant et vert comme rien n'a vieilli.
Prends le vase, jette ces roses qui se fanent.
Les fleurs les plus fraîches ne passent pas midi.
Et toujours ces questions si vieilles que nous sommes
Fatigués de ne pas répondre. Faire la somme
De nos connaissances, de nos amours, de nos chants,
Vivre et être vécu n'est pas une réponse,
Et Dieu, cela fait si longtemps ! Où est-Il ?
Perspectives finales : midi — la mer...