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Citation de Partemps


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« Il y a des signes certains, écrit Nietzsche dans le « monologue du voyageur dans la montagne », que tu as avancé et que tu es arrivé plus haut : la vue est plus libre et plus riche autour de toi que tantôt, le souffle de la brise est sur toi plus frais, mais aussi plus doux (car tu as désappris la folie de confondre douceur et chaleur), ton allure s’est faite plus vive et plus ferme, ton courage à grandi en même temps que ta lucidité : – pour toutes ces raisons, ta route pourra maintenant être plus solitaire et en tout cas sera plus dangereuse que l’ancienne, mais pas autant à coup sûr que le croient ceux qui te regardent, voyageur, du fond de la vallée embrumée marcher sur la montagne. » (Nietzsche, 1878, II, 108-109).

C’est pourquoi celui qui fait de l’alpinisme connaît et effectue un peu mieux son authentique liberté. Dans un même mouvement théorique et pratique où s’unissent la conscience de soi et la conscience du monde, il sait et expérimente charnellement ses limites mais aussi leur incessant élargissement. Cet élargissement n’est pas tant un repoussement indéfini par delà des limites extérieures. Car ce repoussement s’identifie souvent à l’illusion et à la folie d’une passion sans direction, sans lucidité ni signification ; cette passion qui s’exprime souvent dans le sport contemporain et qui fait de nous, comme le disait déjà Platon dans la République quatre siècles avant notre ère, des « êtres d’enflure » soumis à une logique du débordement ou du trop-plein (pleonexia). Ce repoussement, au contraire, auquel nous convie l’alpinisme, est bien plutôt un approfondissement de ce qui clôt c’est-à-dire définit et circonscrit la condition humaine comme corporéité, comme finitude et comme mortalité. C’est cet approfondissement intérieur qui n’accède à aucun au-delà transcendant, c’est cette ouverture de la vie humaine à sa simple immanence que nous apprend l’alpinisme et l’ébauche de sa philosophie de la liberté que je viens de tenter : une intensification de l’existence et, en elle, une densification de notre séjour. Quand le corps fatigué de l’ascensionniste au souffle court se hisse sur les prises d’une paroi, sur les crampons d’acier ou sur la pointe du piolet fichés dans la glace, quand ce corps « saisi par la neige et courbé face au vent » est complètement plongé dans son effort, dans sa souffrance et dans l’unique attention pour sa sauvegarde et celle de son compagnon de cordée, « là, continue Erri De Luca dans son beau récit « Sur les traves de Nives », ce n’est plus la force ni la résistance qui sont nécessaires, mais une douce sérénité dans les nerfs, dans les doigts. » (De Luca, 2005, 24). C’est bien cette « douce sérénité », si difficilement et si dangereusement acquise dans une nature particulièrement violente et hostile, qui débarrasse notre vie du superflu, de l’apparence et de l’illusion. Ce superflu, cette apparence et cette illusion que la culture moderne exhausse souvent indûment au plan du nécessaire, de l’essence et de la vérité se trouvent alors un instant abolis. « La montagne nous découvre » (De Luca, id., 56) ; et le dénuement qu’elle opère par l’exercice du corps et de l’intelligence, nous fait accéder un peu mieux à nous-même.
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