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Citation de Charybde2


Nous sommes déjà debout, déjà prêts à nous enfuir, nous attendant au refus.
– Alors, vous allez faire un journal ? C’est très épatant ça ! dit Giono. Un journal de jeunes à Manosque ! Ça m’intéresse prodigieusement !
Je ne mens pas. Pourquoi mentirais-je à mon âge ? J’enregistre, à cette époque, comme je fais toujours. Ces deux termes, très épatant et prodigieux, seront les deux adjectifs préférés de Giono durant tout le temps qu’il aura la passion de sauver et que sa joie demeurera.
– Oui, dit Jef, et ce sera un journal pacifiste. C’est pour ça que nous avons pensé que si vous vouliez bien nous donner un article…
– Mais, naturellement, tout ce que vous voudrez !
Il était en train de bourrer sa pipe. Je sens encore, à cinquante-trois ans de distance, le parfum de ce mélange qu’il tirait d’un pot de faïence de Marnas, brun, constellé de grosses lunes jaunes. Je vois encore le geste de sybarite de son index effilé pour tasser minutieusement le tabac. Il l’alluma, éteignit l’allumette dans l’air en un mouvement que je ne vis jamais faire qu’à lui et soudain, comme frappé d’une inspiration subite, il nous dit :
– Mais au fait ! Pourquoi ne viendriez-vous pas au Contadour avec moi ? Tiens, c’est une idée ça ! Vous venez avec moi et là-haut je vous fais votre article.
Il voit sur nos visages, et surtout sur le mien sans doute, qu’il y a un obstacle majeur. Il doit y avoir de la dépense au Contadour et je n’ai que vingt francs par semaine.
– Allez ! dit-il. Je vous invite au Contadour. Vous resterez tout le temps que vous voudrez.
Il nous donne des détails pratiques :
– Habillez-vous chaudement et soyez à la Saunerie samedi vers onze heures, nous partons par la patache de Banon !
Quand nous sortons de là, Jef et moi, nous sommes l’un contre l’autre jetés par l’émotion et saouls comme des grives. Le plaisir, l’étonnement, l’enthousiasme, se partagent nos cœurs. Nous venons d’être percutés pour la première fois de notre vie par une émotion inconnue. Et Jef pour extérioriser sa joie se tourne vers moi et me morigène pour lui avoir laissé faire tout le travail. – Tu aurais pu au moins me soutenir ! À quoi ça sert que je t’aie traîné jusqu’ici ? Tu avais plutôt l’air d’un con que d’un moulin à vent !
C’était vrai. Mais il pouvait toujours parler. J’avais encore dans le nez le parfum de la maison Giono. C’était cette odeur particulière que je n’ai sentie qu’une dizaine de fois dans ma vie : mélange de cuisine de grand-mère, de vieux livres, de linge repassé dans les armoires, de fontaine de jardin à petit bruit qui entraîne par la porte ouverte un courant d’air odorant d’herbes mouillées. Il pouvait toujours parler mon ami Jef. J’étais au comble du bonheur.
Moi dont la machine à me souvenir est si exacte d’ordinaire, ici je ne me souviens plus de la couleur, de la texture qu’annonçait le couchant ce soir-là. Giono m’avait effacé le ciel.
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