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les aînées de familles nombreuses savent très vite à quoi s'en tenir sur les servitudes familiales. La grande soeur, c'est le Saint-Bernard de la famille, responsable à vie du service. Une ménagère avant l'heure, c'est son lot.
Les jours de marché où j'accompagnais ma mère, celle-ci me désignait à l'étal les fruits et les légumes qui ne l'inspiraient pas et me commentait ses choix : " ceux-là, tu vois Pierrot, c'est des fruits qui ont voyagé ", la provenance en était Perpignan, distant de cent kilométrés... Je vous laisse deviner son effroi devant les provenances actuelles, Chili, Californie, Afrique du Sud, Israël... et j'en passe. (...) C'était une époque, c'en est une autre, on ne va pas refaire les comptes.
Tout le temps que durèrent la guerre et ses restrictions alimentaires, mon père n'eut comme seule ressource pour nourrir sa fratrie que de monter au ravito. Il prenait des trains rares et bondés avec pour seul bagage sa musette et une valise, et pour passeport le livret de famille aux pages bien remplies ; huit enfants, ça meuble les feuillets et décrit les joies et les déveines d'une vie.
Il s'enfonçait dans les terres, l'Aveyron, le Cantal, la Lozère pour soutirer des provisions aux paysans. Il pointait jusque dans la Creuse. Il avait une adresse là-bas. De braves gens qu'il avait émus en leur parlant de notre condition. Il disait qu'en bas, au bord de la mer, on avait peut-être le soleil mais qu'on la sautait méchamment question alimentaire. Et lui, bon père de famille française, il avait des voraces à nourrir qui attendaient son retour comme le messie. Dans certains villages il allait droit chez le curé pour se faire recommander auprès des familles compatissantes. De telles démarches devaient lui coûter, athée qu'il était, et qui fut à son heure enterré civilement. A croire que la faim est bonne conseillère. [...]
D'entrée de jeu, l'institutrice n'apprécia pas ma dégaine et manifesta sa désapprobation:
- Viens ici, toi, le grand dadais.
Je n'avais pas encore mis un pied dans la classe que j'étais déjà repéré. Sorti de l'anonymat, j'avais déjà un statut et j'allais occuper la place décernée. Elle n'allait pas être déçue. La suite ne fit qu'établir sa conviction.