AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de EtienneBernardLivres


LES HIRONDELLES DE PARIS
Je veux battre en brèche un préjugé. Il y en a tant qu'il en restera toujours assez sans celui-ci. Et d'ailleurs, je commence à être irrité de voir sans cesse célébrer sur tous les tons une réputation aussi usurpée.
Tous les ans, à la même date, je retrouve dans trente élégies les mêmes sentimentalités à propos de l'ennemi que je prétends combattre, et la patience finit par échapper.
À l'attaque donc, et pas de ménagements.

L'ennemi dont j'entends parler, c'est — apprêtez-vous à bondir — c'est... l'hirondelle.
Oui, sans doute, je sais la popularité dont jouit cet oiseau voyageur ; mais je soutiens et je veux prouver que les hirondelles ne sont que les fausses bonnes femmes de l'air.
Leur célébrité est l'œuvre des poètes, qui n'en font jamais d'autres.
À force de rimer en l'honneur de ces volatiles, à force de faire chanter à tous les pianos leurs éloges en la bémol ou en sol majeur, on a fini par convaincre le public, qui s'attendrit de bonne foi, lui.
Et personne ne s'est aperçu qu'on faisait là tout simplement l'apothéose de l'ingratitude.
De l'ingratitude, le plus abominable des défauts, dont l'hirondelle est le trop séduisant symbole.

Comment ! Voici de petits êtres qui n'ont pour eux ni le chant, comme le rossignol, ni l'éclat du plumage, comme le pinson, ni la familiarité, comme ce bon garçon de pierrot.
Malgré cela, la France et l'Europe les hébergent pendant six mois avec toutes sortes d'égards. Nul n'oserait porter sur eux une main profane.
Paris même, qui sous ce rapport n'est pas très sensible, Paris ne leur fait pas payer de loyer et leur livre gratis ses plus beaux édifices — désintéressement rare par le temps qui court.
Bien plus, c'est à qui leur soupirera des compliments, et qui leur tournera des madrigaux.
Et les choses vont ainsi tant que luit le soleil, tant que le ciel est en fête.

Mais arrivent les nuages et les sombres jours. C'est l'heure où nous aurions le plus besoin de consolations, alors que l'automne jette un crêpe de deuil sur la nature.
C'est aussi l'heure que choisit notre poétique hirondelle pour nous abandonner. Insoucieuse et sans vergogne, elle part en battant les ailes, la gaîté au bec.
Pas un regret ! Pas un souvenir !

Le ciel est devenu noir, tant pis pour nous et bonsoir. Chacun pour soi ici-bas. Arrangeons-nous comme nous pourrons de la bise et des frimas.
Quant à elle, l'égoïste qu'elle est, pourvu qu'elle ait ailleurs un nid douillet et une brise bien tiède, c'est tout ce qu'il lui faut.
Encore pardonnerais-je peut-être à l'hirondelle, si ses défauts n'étaient pas contagieux.
Mais elle a fait école, et triste école, par ma foi !
Hélas ! Que nous en voyons chaque jour s'envoler d'hirondelles !

Piou piou... autour de nous s'abattait une nuée de volages courtisans.
Mais le vent a tourné. Un autre a pris votre place.
Piou ! Piou... Départ général. Plus un seul battement d'ailes autour de nous.
Les hirondelles politiques sont allées ailleurs chercher le soleil.

Connaissez-vous X... le prince des millions, le roi de la spéculation ?
Vive le grand, le généreux, l'immortel X... ! Soudain, le bruit se répand que X... en voulant trancher du Mondor, s'est coupé. Une ruine complète... Déjà les hirondelles de la Bourse sont allées porter ailleurs leur gazouillement. Piou ! Piou... piou...

Et cet homme de lettres ?
Au début, tout lui souriait ; les réclames ne proclamaient que son nom.
C'était à qui lui donnerait le bras sur le boulevard, à qui suspendrait son nid au fronton de sa gloire.
Mais bientôt la critique passa par là, donna un coup de pied dans le fragile édifice, qui croula. Les hirondelles de l'amitié avaient, au premier choc, pris leur vol à la recherche d'une autre célébrité en son printemps.

Et ce duo charmant, dont les paroles ne varient jamais :
— M'aimerez-vous longtemps ?
— Toujours...
Six mois, un an, deux ans se passent. Qu'est devenu le toujours ? Un hélas !
Car, parmi les hirondelles de l'amour, il en est qui n'attendent pas la fin de la saison pour émigrer.

Voilà pourquoi j'en veux aux autres hirondelles, à celles de là-haut, les ingrates, qui font parmi nous tant de disciples. Ce n'est pas du ciel que doit nous venir le mauvais exemple !
Commenter  J’apprécie          50





Ont apprécié cette citation (5)voir plus




{* *}