On peut se demander si Michel Sardou n'a pas raison: «La vie c'est plus marrant / C'est moins désespérant / En chantant » (1978).
Ce n'est pas que les chansons soient nécessairement joyeuses, mais elles suscitent et donnent à partager des émotions qui enrichissent nos expériences - notamment celles des lieux - et aident à leur conférer du sens.
Elles nous donnent un tout petit supplément d'âme, cette petite flamme. C'est pourquoi, à l'heure du monde désenchanté, même si on ne sait plus comment faire, « [on] aime toujours les chansons / Qui parlent d'amour et d'hirondelles / De chagrin, de vent, et de frissons »
Les chansons n'ont sur nous que l'effet qu'on leur laisse avoir, ou plutôt que l'on contribue à leur donner: il faut accepter d'entendre et même d'écouter une chanson, suivre son rythme et plonger dans son ambiance, s'ouvrir aux sentiments qu'elle donne à partager, l'aimer ou tout du moins la mémoriser, l'intégrer à son imaginaire, ensuite s'en souvenir, la mettre dans sa playlist ou la fredonner dans sa tête, la mobiliser dans certaines circons-tances, l'infliger à ses proches, etc. Sans cela, les chansons ne font pas grand-chose. Les chansons ont la place qu'on leur donne. Encore que certaines montrent une agaçante capacité à vous entrer dans la tête et ne pas en sortir...
Cette capacité d'agir définit l'agentivité, qu'on a l'habitude de réserver à certains êtres vivants. Dans cette perspective, l'expression anglaise qui désigne ces airs obsédants prend tout son sens: earworm (ver d'oreille).
« Le seul désir qui vous entraîne / Dès qu'on a quitté le bateau / C'est de goûter une semaine / L'aventure mexicaine / Au soleil de Mexico ».
Qui, en chantant ces quelques lignes, ne serait pas tenté de penser que le port de Mexico accueille des bateaux de croisière, avant de constater sur une carte que l'altitude moyenne de la ville, très loin des côtes pacifique et atlantique, est de 2240 mètres ?