La rousse n’eut pas fini de refermer les mâchoires. Son visage se contracta en une vilaine grimace. Elle voulut parler elle aussi, raconter son histoire. Qui sait ? Ce soir, tout le monde était d’humeur loquace. Mais le son qui s’échappa de sa bouche ne fut qu’un gargouillis mouillé par un jet de sang qui coula sur sa belle poitrine. Elle porta une main sans force à sa gorge pour tenter d’y retirer le couteau planté. Son corps s’affala sur Staguérar. Les danseuses poussèrent des cris et arrêtèrent d’onduler. Les musiciens cessèrent de jouer inutilement et les invités de se goinfrer. Staguérar se leva de sa chaise avec force et horreur comme si quelque chose l’avait piqué. La rousse roula sous la table. Elle n’existait déjà plus aux yeux du monde. Seul, un de ses pieds dépassait sous la nappe de velours. D’une voix calme et sonore, Mogande s’adressa à l’assistance.
« Quelles que soient les circonstances, l’insubordination doit être punie sans attendre. Que cette marque d’autorité nécessaire ne vous gâche pas ce repas. »
L'homme tomba dos contre terre dans le cliquetis de sa cotte de maille. Pour lui, c'était déjà la nuit. L'épée de Mogande s'était introduite avec force dans sa caboche qui, lorsqu'elle était encore en état, pensait naïvement être ceinte de la couronne de rubis.
Le vin avait remis les idées en place de Kauska. Il fixait la canaille qui un instant auparavant lui avait causé de l’embarras. Debout, le grand Colsarann n’avait plus sa superbe d’antan. Il faisait un effort pour se tenir droit sans toutefois y parvenir. Ses habits dans lesquels il flottait le rapetissaient, tant il était maigre. Ce surplus d’étoffe cachait à peine les soulèvements de sa poitrine. Il avait le souffle court de ceux qu’un rien fatigue. À le voir ainsi, il se demandait pourquoi il avait arrêté le bras de Ferrice. La tête coupée de Colsarann posée sur la table de noce aurait été le digne ornement de cette cérémonie de mascarade.