Richard Stengel

Toute sa vie, il s'est soucié des grandes comme des petites choses - de la couleur de sa chemise à la manière dont telle politique était considérée par ses supporteurs, en passant par son propre maintien.
Ce n'est pas lui qui empêcherait quelqu'un de juger un livre sur sa couverture - c'est ce que nous faisons tous. Il a beau être un homme profond, il estime superficiel - et idiot - de ne pas se fier aux apparences. Elles comptent, et l'occasion de faire une première bonne impression ne se présente qu'une fois.

Le sourire de Mandela compte parmi les plus rayonnants de l'Histoire. Il transmet chaleur et sagesse, pouvoir et générosité, compréhension et pardon.

« Ne pas avoir peur est stupide, le courage consiste à ne pas se laisser vaincre par la peur ».

Il a toujours envie d'apprendre des experts ; et il n'hésite pas à leur demander de lui expliquer le pourquoi du comment. En les interrogeant, en leur demandant de l'aide ou des conseils, il ne fait pas que se renseigner, il leur confère du pouvoir. Mandela sait que rien ne vous attire les faveurs de quelqu'un comme le fait d lui demander de l'aide - quand vous vous en remettez à quelqu'un, vous augmentez son allégeance à votre égard.

La chaîne des dirigeants revêt pour lui une importance particulière du fait du concept africain d'ubuntu - ce que les Occidentaux appellent "fraternité". Cette notion est essentielle pour comprendre le mode de pensée de Mandela, et comment il se voit lui-même. Le mot est issu d'un proverbe zoulou, Umuntu ngumuntu ngabantu, souvent traduit par : "Une personne est une personne par les autres." L'idée est que nous ne faisons rien entièrement par nous-mêmes. Ce concept est à l'opposé de l'individualisme qui caractérise l'Occident depuis la Renaissance. L'ubuntu voit l'homme moins comme individu que comme élément d'un maillage infiniment complexe composé d'autres êtres humains. Dans cette vision des choses, nous sommes tous liés les uns aux autres, le je est subordonné au nous, aucun homme n'est une île.

L'idée c'était que le leadership, au fond, consiste à orienter le peuple dans une certaine direction - en général en modifiant l'orientation de ses vues et comportements. Et la bonne façon d'y parvenir n'est pas forcément de se mettre en avant et de crier : "suivez-moi!". On peut aussi confier le pouvoir aux autres, ou les pousser à passer les premiers. C'est vrai dans les grandes comme dans les petites choses. C'est en autorisant les autres à agir que l'on communique son propre leader ship, ses propres idées. Le principe est valable dans tous les domaines.

C'est la prison qui lui a enseigné à ralentir le pas ; elle a également renforcé chez lui l'idée que la précipitation menait aux erreurs de jugement. Par-dessus tout, il a appris à attendre longtemps les résultats d'une action - sa vie entière incarne cette patience.
La plupart d'entre nous sont habitués au contraire . Parce que notre culture récompense la vitesse, nous voyons l'impatience comme une vertu. Nous confondons la brève jouissance d'une gratification avec l'expression de nous-mêmes. Nous apprenons à saisir les occasions quand elles se présentent, à répondre aux SMS sans cesser de réfléchir. Mais nous aurions tort de laisser l'illusion de l'urgence nous pousser à des décisions non mûries. Il est vrai qu'il y a des circonstances où nous risquons de perdre la confiance d'une personne à laquelle nous tenons, ou de laisser passer une opportunité professionnelle, si nous ne prenons pas une décision rapidement. Mais dans bien des cas, nous faisons une meilleure affaire, décrochons un emploi plus intéressant, ou montrons notre loyauté envers un ami justement en évitant de nous précipiter, en jouant sur le long terme. Mieux vaut être lent et réfléchi que de se hâter dans le seul but de passer pour un décideur.

D'après lui, on imposait aux gens des croyances religieuses comme on leur imposait l'apartheid ; le zèle de ce pasteur ne faisait qu'exprimer la façon dont il avait été élevé. Mandela ne s'arrêtait pas aux éternelles lamentations : il essayait d'apercevoir l'être humain derrière le provocateur.

.... je repense à cet échange bouleversant entre Mandela et son fils aîné qu lui demandait pourquoi il ne venait jamais dormir à la maison auprès des siens. Mandela a répondu qu'il y avait trois millions d'autres enfants qui avaient besoin de lui. Si dure, si cruelle que cette phrase paraisse, elle reflétait le simple et terrible calcul qui était le sien. Un des bus qu'il poursuivait en acceptant ce sacrifice, c'était qu'un jour d'autres pères, et d'autres mères, ne soient pas obligés de répondre la même chose à leurs enfants. C'était que son propre fils puisse recevoir en héritage une nation libre où il n'aurait pas à se battre pour une liberté qui aurait dû lui revenir de plein droit à la naissance.

Mandela tolère tout, sauf l'intolérance. Il lutte contre la discrimination sans jamais pratique la discrimination. On ne poursuit pas un objectif noble en usant de moyens abjects. L'efficacité, oui. La vénalité, non.