Robert Andrault

Portrait de femme musulmane en 1938 à Mostar:

A peine dans Mostar, nous rencontrons une femme musulmane vêtue de la plus curieuse façon.

Elle est emmitouflée dans une longue et chaude couverture bleu foncé, approximativement taillée en ample manteau. Il se termine au-dessus du crâne par un grand bec plat comme une très longue visière rectangulaire.

La lourde étoffe tombe de chaque côté, encadrant le visage. Le visage ? Non ! encadrant la place où logiquement doit êtrele visage. Car, non contente de trimbaler cet auvent, cette femme porte encore le voile noir traditionnel sur la figure.

Comme vous voyez, on ne fait pas plus hermétique.

Quant à la silhouette générale, elle est franchement cocasse. On croirait une sorte de gigantesque pingouin avec un plumage de corbeau.

Cet accoutrement est spécial à Mostar. Ah ! les femmes sont bien gardées: elles ne risquent pas de séduire !


Et ne croyez pas que cette femme ainsi accoutrée soit un unique exemplaire, nous en rencontrons à chaque coin de rue."
p.205/206

Scène de vie à Cernauti, actuelle Tchernivtsi:

"Puisque nous en sommes à lire les enseignes, nous en remarquons beaucoup qui sont en yiddish, d'autres en allemand. Il ne faut pas oublier qu'avant de s'appeler Cernauti, Czernowitz était une ville autrichienne.

Les rues sont très animés, surtout pour les flâneurs, qui trouvent le moyen de se bousculer, tout comme s'ils étaient pressés. Cette agitation au ralenti déborde des trottoirs jusque sur la chaussée. Elle ne consent à se ranger que lorsque un gros taxi de marque américaine fonce sans aucun égard à grands coups de klaxons. La concurrence des Buick, des Chevrolet n'a pas tué le fiacre. Dès qu'on y prête attention on en voit toujours deux ou trois frayant leur passage dans le désordre de la rue. Ils vont bon train, tirés par un ou deux petits chevaux à la longue crinière, harnachés de cuirs blancs ou jaunes avec des rubans qui flottent aux oeillères, pour, paraît-il, conjurer le mauvais sort. Quant aux cochers, beaucoup portent encore la tunique à brandebourgs. Je voudrais bien savoir si ce sont là les fameux "scapets" comme, paraît-il, on en voit encore à Bucarest, cochers eunuques d'origine russe."

La foule que nous côtoyons est aussi extrêmement variée.

Après des paysans tout habillés de toile blanche fabriquée à la maison, au pantalon collant le long des jambes pour permettre d'aller à cheval, on rencontre de nombreux juifs, des militaires aux uniformes étincelants quand il s'agit des officiers, ou flottant et fatigués pour les hommes de troupe. Quelques élégantes fardées et assez chic sont suivies du regard par une bonne partie de la population mâle, qui n'hésite pas à se retourner et même à descendre du trottoir pour contempler plus longtemps l’agréable silhouette. Les jolies femmes ont beaucoup de succès en Roumanie, nous yyyyyya-t-on dit. Nous n'en doutons pas."

p.317,