Citations de Robert Creeley (14)
Comme d’un bâton…
Comme d’un bâton,
pierre, ce
qui s’est ainsi
dressé a
une tête, marche,
parle, mène
une vie.
ÉLEMENTS
Le ciel crie
la lumière regarde.
L'air se sent partout,
des heurts soudains, un vide flou.
Le feu brûle. La terre n'est plus
qu'un déchet, inhumain.
LE CHARME
UN POÈME
Si l'eau forme
des formations d'herbes sauvages, là —
une longue vie n'est pas, de ce fait,
forcément heureuse.
Mon ami. Nous
supposons un équilibre
simple,
à l'exemple d'une pierre
souterraine.
p.33
MOTS
Vous êtes toujours
avec moi,
jamais
à part
ailleurs. Or si
dans le lieu
altéré je
ne peux parler,
celle de l’indulgence
ou de la peur seulement,
mais juste une langue
corrompue par
ce qu’elle a goûté – Perdure
un souvenir
d’eau, de
nourriture, quand on a faim.
Un jour
ne sera pas
celui-ci, où
dire
des mots aussi
clairs, habiles
que la cendre séparera,
comme la poussière,
tombée de nulle part.
//Traduction inédite de Sabine Huynh
AU LOIN
CHAQUE JOUR
Chaque jour
en douceur
choses sont accomplies.
Chaque matin là est
un jour. Chaque jour
là est un jour.
Je me réveille dans un lit,
une fenêtre pleine de lumière,
une maison dans l'esprit,
pour pisser, manger,
réfléchir à quelque chose,
oublier les choses,
se souvenir de tout,
exactement, chaque
détail précis, réel,
ignorant tout
sans rien y comprendre,
je ne suis pas une partie d'un seul,
très bien pour toi,
très bien, mon vieux —
échos, choses, visages.
p.213
PAR AMOUR
LA PLUIE
Toute la nuit le bruit avait
retenti à nouveau,
et à nouveau tombe
cette pluie douce et persistante.
Qu'est-ce que je suis à moi-même
qui doive être retenu,
insisterait
si souvent ? Est-ce
que jamais la douceur
ni même la violence
de la pluie
aurait pour moi
quelque chose d'autre que cela,
quelque chose de moins appuyé —
dois-je être enfermé
dans ce malaise sans issue.
Amour, si tu m'aimes,
étends-toi près de moi.
Sois pour moi, comme la pluie,
l'échappée hors
de la fatigue, la bêtise, la demi-
torpeur de l'indifférence intentionnelle.
Sois trempée
d'un bonheur pudique.
p.69
Le temps pesant
Le temps pesant se déplace
impondérablement présent.
UNE CHOSE/ faite
UNE CHOSE
faite, le
reste suit
Le Charme (1968)
RETOUR
Paisible comme l’est la nature de ces lieux ;
Rue, plus douce, à demi-neige, à demi-pluie,
Sans fin, mais enfin très près des portes sombres.
Dedans, ceux qui toujours seront là,
Paisible comme l’est la nature de ces gens —
Assez d’être ici et maintenant, et
De savoir que ma porte est l’une d’entre elles.
Robert Creeley
"The Flower"
I think I grow tensions
like flowers
in a wood where
nobody goes.
Each wound is perfect,
encloses itself in a tiny
imperceptible blossom,
making pain.
Pain is a flower like that one,
like this one,
like that one,
like this one.
Amour heureux
AMOUR HEUREUX, cet
accord, coïncidence
comme carrefour.
*
Les formes affrontent
les faits trouvent.
*
Un
faisan une
faisane
marchent côte à côte.
Arbres
Cuisses, arbres -
tu voudrais
une place où tenir,
y tenir.
Corps, un trou
vacant, les vents
y passent - la
résonnance, de l'expérience,
les mots sont une vi-
bration, tête, coffre,
tronc, d'arbre, a des
branches, poussent des feuilles.
Pas
Pas plus loin dehors
qu’à l’intérieur –
pas plus près d’ici
que là.
Mots (1967)
INTERVALLES
Qui
suis-je ─
identité
qui chante.
Pose
un lac
sur un fond, l’eau
trouve une forme.
Fumée
dans l’air
va plus haut
se perdre.
Soleil brille,
arbres vert foncé,
un léger mouvement
dans les feuilles.
Un oiseau chante
mesure distance,
intervalles c’est-à-dire
écho silence.