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Citation de Dionysos89


Graendal regretta qu'il n'y ait pas un simple transcripteur parmi les objets qu'elle avait rapportés de l'Illian après la mort de Sammael. Cette Ère était le plus souvent effrayante, primitive et inconfortable. Mais certaines choses lui convenaient. Dans une cage en bambou de l'autre côté de la pièce, une centaine d'oiseaux au plumage multicolore chantaient mélodieusement, presque aussi beaux dans leurs volettements chamarrés que ses deux serviteurs en robes transparentes qui attendaient de chaque côté de la porte, le regard fixé sur elle, impatients de la servir. Même si les lanternes n'éclairaient pas autant que les boules fluorescentes, elles donnaient un éclat barbare aux dorures en écailles de poisson du plafond. Bien qu'elle eût préféré prononcer les mots de vive voix, les coucher finalement sur le papier lui procurait un plaisir semblable à celui qu'elle ressentait en dessinant. Les caractères de cette Ère étaient assez simples, et le style facile à imiter.
Paraphant avec panache - sans utiliser son vrai nom, bien sûr - elle sécha l'encre avec du sable, plia l'épaisse feuille de papier et la scella d'un des sceaux de diverses tailles alignés sur sa table de travail. La Main et l'Épée de l'Arad Doman imprimés sur un cercle irrégulier de cire vert et bleu.
— Apportez cela au Seigneur Ituralde, dit-elle. Faites diligence et ne lui parlez pas de ce que je vous ai dit.
— Aussi vite qu'un cheval pourra me porter, ma Dame. Nazran s'inclina en prenant la lettre, caressant d'un doigt une fine moustache noire surmontant un sourire charmeur. Carré et très hâlé, en tunique bleue bien coupée, il était beau ; mais pas tout à fait assez.
— J'ai reçu cela de Dame Tuva, qui est morte de ses blessures après m'avoir confié qu'elle était coursier pour le compte d'Alsalam et avait été attachée à un Homme Gris.
— Assurez-vous qu'il y a du sang humain dessus, l'admonesta-t-elle.
Elle doutait fort que quiconque fût capable de distinguer du sang humain d'un autre, mais elle avait eu trop de surprises pour prendre un risque inutile.
— Suffisamment pour que ce soit réaliste, sans pour autant gâcher mon écriture.
Il s'inclina une fois de plus, ses yeux s'attardant chaleureusement sur elle. Dès qu'il se redressa, il se hâta vers la porte, ses bottes claquant sur les dalles de marbre jaune. Il ne remarqua pas les domestiques dont les yeux ardents étaient rivés sur elle, ou il feignit de ne pas les voir, bien qu'il ait été autrefois l'ami du jeune homme. Il n'avait fallu qu'une touche de Compulsion pour que Nazran devienne aussi soumis qu'eux, sans parler de l'espoir de jouir encore de ses charmes. Elle rit doucement. Enfin, il croyait en avoir joui. S'il avait été juste un peu plus beau, cela aurait été possible. Dans ce cas-là, il aurait été totalement inutile pour d'autres activités. Il épuiserait son cheval jusqu'à ce que mort s'ensuive pour arriver jusqu'à Ituralde, et si ce message, apporté par un proche cousin d'Alsalam, émanant du Roi lui-même, et que des Hommes Gris cherchaient à intercepter, ne satisfaisait pas l'ordre du Grand Seigneur d'accroître le chaos partout, c'est que rien ne le satisferait à part le malefeu. Et cela servirait ses fins du même coup. Ses propres fins. La main de Graendal s'empara du seul anneau sur la table qui n'était pas un sceau, une simple bande en or qui n'allait qu'à son petit doigt. Ç'avait été une bonne surprise que de trouver un angreal à sa taille parmi les affaires de Sammael alors que al'Thor et ses chiots qui se donnaient le nom d'Asha'man, entraient et sortaient sans discontinuer des appartements de Sammael dans le Grand Palais du Conseil. Ils les avaient vidés de tout ce qu'elle n'avait pas pris. Ces chiots étaient tous dangereux, surtout al'Thor. Et elle ne voulait pas que quiconque pût établir le moindre rapport entre elle et Sammael. Pourtant, elle devait accélérer le rythme de réalisation de ses propres plans, et s'éloigner du désastre de Sammael.
Brusquement, une fente verticale argentée apparut à l'autre bout de la pièce, scintillant sur les tentures murales suspendues entre les lourds miroirs dorés, puis un carillon cristallin résonna. Surprise, elle haussa les sourcils. Quelqu'un se rappelait les politesses d'une autre Ère, semblait-il. Se levant, elle enfila en force l'anneau d'or à son petit doigt, tout contre une bague en rubis, et embrassa la saidar par son intermédiaire, avant de canaliser la toile qui ferait retentir un carillon si quiconque voulait ouvrir un portail. L'angreal n'ajoutait pas grand-chose à sa puissance, pourtant, quiconque pensait connaître sa force subirait un choc.
Le portail s'ouvrit. Deux femmes, en robes de soie noir et rouge presque identiques, le franchirent prudemment. Moghedien avança lentement, ses yeux noirs à l'affût des pièges, lissant de la main ses larges jupes, mais en retenant la saidar. Graendal continua à embrasser la Source, elle aussi. La compagne de Moghedien, une jeune femme petite aux longs cheveux argent et aux yeux d'un bleu éclatant, jeta à peine un coup d'œil en direction de Graendal. À son maintien, on aurait pu la prendre pour une Première Conseillère contrainte de supporter la compagnie de modestes paysans, et bien décidée à ignorer leur présence. Quelle sotte fille d'imiter l'Araignée ! Le rouge et le noir ne convenaient pas à son teint, et elle aurait dû mettre davantage en valeur son opulente poitrine.
— Graendal, je vous présente Cyndane, dit Moghedien. Nous sommes... nous travaillons ensemble.
Elle ne sourit pas en présentant la jeune femme hautaine, à l'inverse de Graendal. Joli nom pour une fille plus que jolie, mais quel caprice du destin avait poussé une mère de cette époque à donner à sa fille un nom signifiant « Dernière Chance » ? Le visage de Cyndane demeurait lisse et froid, mais ses yeux flamboyaient. On aurait dit une magnifique poupée sculptée dans la glace, dissimulant des feux intérieurs. Il semblait qu'elle connût le sens de son nom et qu'elle ne l'aimât pas.
— Qu'est-ce qui vous amène, vous et votre amie, Moghedien ? demanda Graendal.
L'Araignée était bien la dernière personne qu'elle s'attendait à voir sortir de l'ombre.
— Ne craignez pas de parler devant mes domestiques.
Elle fit un geste, et les deux serviteurs qui se tenaient près de la porte se prosternèrent, face contre terre. Ils ne seraient pas tombés raides morts sur son ordre, mais presque.
— Quel intérêt vous inspirent-ils alors que vous détruisez tout ce qui pourrait être intéressant en eux ? demanda Cyndane, traversant la pièce avec arrogance.
Elle se tenait très droite, de toute sa hauteur.
— Savez-vous que Sammael est mort ?
Au prix d'un léger effort, Graendal resta imperturbable. Elle avait pris cette fille pour une Amie du Ténébreux que Moghedien s'était attachée pour faire ses commissions, peut-être une noble persuadée que son titre avait de l'importance. Mais maintenant, vue de près... La fille était plus puissante qu'elle dans le Pouvoir Unique ! Même à son époque, c'était peu commun chez les hommes et très rare chez les femmes. Immédiatement, elle modifia instinctivement son intention de nier tout contact avec Sammael.
— Je m'en doutais, dit-elle, gratifiant Moghedien d'un sourire hypocrite par-dessus la tête de sa compagne.
Que savait-elle au juste ? Où l'Araignée avait-elle déniché une fille dont la puissance dépassait tellement la sienne, et pourquoi voyageaient-elles ensemble ? Moghedien avait toujours été jalouse de toute personne plus puissante qu'elle.
— Il avait l'habitude de me rendre visite pour que je l'aide dans la réalisation de ses plans farfelus. Je ne refusais jamais directement, car vous savez que Sammael est - était - un homme dangereux quand on s'opposait à lui. Il venait me voir régulièrement tous les deux ou trois jours, et quand ses visites se sont interrompues, j'ai supposé qu'il lui était arrivé quelque chose de grave. Qui est cette jeune fille, Moghedien ? C'est une trouvaille remarquable.
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