Sur une planche de cuivre rouge parfaitement aplanie, et recouverte d’une mince couche de vernis, le graveur à l’eau-forte trace, à l’aide d’une pointe sur ce vernis, un dessin formé par une série de traits creux qui découvrent le métal, puis il soumet la planche, soit par immersion, soit par couverture, à l’action de l’eau-forte ou acide nitrique. L’acide, pénétrant dans les sillons tracés par la pointe sur le vernis, ronge le cuivre et forme ainsi une gravure en creux dont on obtient l’image renversée par une impression dite de taille douce.
Tel est le principe rudimentaire de l’opération pratique de la gravure à l’eau-forte. Mais on conçoit aisément qu’une gravure ainsi obtenue, et la pointe ayant enlevé la couche de vernis d’une façon régulière, sans entamer le métal, présenterait une image plate et sans relief, l’acide donnant une morsure égale partout, à l’instar des nielles et gravures d’armurerie, si l’artiste ne prenait soin de multiplier les morsures en modifiant la force de l’acide, et en recouvrant à nouveau d’un vernis certaines parties suffisamment atteintes, afin d’obtenir différentes profondeurs qui lui donneront, à l’épreuve, l’effet et le relief.
Soyez donc artiste, dirons-nous à l’amateur, comme Corot avait coutume de dire : « Soyez sincère. » Mais, me direz- vous, on naît artiste, on ne le devient point ! Erreur, grande erreur! Tout est relatif et l’on peut devenir artiste par une étude intelligente et raisonnée de la nature et des maîtres ; et, à moins que vous ne soyez absolument rebelle aux choses d’art, ce n’est point le cas puisque vous ouvrez ce livre, j’affirme que votre première préoccupation, avant d’acheter un cuivre et de placer devant votre fenêtre le châssis de l’aquafortiste, devra être une étude sérieuse et raisonnée de l’esthétique du graveur à l’eau-forte.
Aussi dirai-je une dernière fois à l’amateur et au jeune artiste : étudiez les maîtres anciens pour vous former un fond de savoir, mais aussi et surtout, suivez nos expositions pour y observer les maîtres modernes parmi lesquels vous vivez : prenez d’eux les meilleurs conseils, c’est là que votre juge¬ ment et votre goût se formeront plus sûrement encore, que' vos idées s’éclairciront et qu’enfin naîtra votre personnalité, faisant de vous un artiste bien de votre temps et de votre époque, apportant la modeste pierre à l’édifice social du XIXe siècle.
Ce qu’il y a de merveilleux dans l’eau-forte, c’est cette conception primesautière qui enserre en si peu de traits, j’allais dire en si peu de mots, une pensée vibrante et forte, fermement et largement exprimée, qui laisse un vaste champ aux rêveries du spectateur, ainsi qu’un monument dont on ne nous montrerait que les grandes lignes, un tableau dont nous aurions l’esquisse sous les yeux et que nous nous plaisons à babiller nous-mêmes de toutes les perfections qui n’y paraissent qu’indiquées.