AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de enkidu_


Après le départ de la jeune fille, je demandai au vieillard s’il avait, dans cet univers-ci, l’emploi des trouvailles qu’il fit dans l’autre. Il me répondit :

— L’infini se manifeste à nous comme une essence qui a des desseins et des moyens. Tout homme qui a le sens du destin, c’est-à-dire qui soupçonne, dans le déroulement des circonstances, autre chose qu’un écroulement mécanique, a déjà touché la main de Dieu. Mais la création est gâtée, en partie par la faute de l’homme, en partie pour d’autres motifs plus secrets. Sans doute y a-t-il, dans une autre réalité factice qui croise la nôtre, des êtres que nous ne connaissons pas et dont les erreurs s’ajoutent aux nôtres. Il suffit de regarder la création pour s’assurer que tout y est calculé, mais que beaucoup d’objets créés ont été détournés de leur destination primitive. Le monde est comme un poste de radio détraqué qui nous servirait d’escabeau ou de boîte à outils. Là-dessus le temps vole comme une flèche. Les causes et les effets se précipitent dans la brèche ouverte au flanc de l’éternité, virent à droite, à gauche, avec une merveilleuse souplesse, de façon telle que le sort de l’homme, et de chaque homme en particulier, se dessine comme un visage.

Le péché originel, c’est l’intelligence. Nous sommes condamnés à comprendre, ce qui veut dire : à connaître la vérité selon un mode qui lui est étranger. Toute science est menteuse, justement parce qu’elle vise à donner au monde une image cohérente. Il y a pire qu’être aveugle : voir les choses autrement qu’elles ne sont. Ainsi découvrons-nous l’univers plein de défauts — qui sont dans notre esprit — les hommes à peu près tous semblables, et le divin mêlé à des idées qui le font paraître tout ensemble absurde et nécessaire. Que le bonheur ou le malheur nous délivre de la raison, et l’image imparfaite se transforme en un pur effluve. Notre âme n’a de vertu que dans le déséquilibre. C’est l’émotion qui nous sensibilise. Nous ne percevons le monde que dans le mouvement de la chute ou de l’ascension pathétique, et alors le monde nous effraye. Aussi aspirons-nous à la paix de l’âme, parce qu’elle nous rend la fallacieuse possession de la matière, où nous nous étendons avec des grognements d’aise. Décor de théâtre, parfaitement solide et justifiable ; mais une voix mystérieuse nous souffle les répliques de la pièce, et la lumière vient d’ailleurs.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}