L’approche d’un grand artiste ne se fait pas sans une méditation préalable. Les hommes ont beau se reproduire avec une fécondité irrépressible, seul subsiste de cette poussée sans fin le souvenir de quelques-uns - combien rares ! - de ces éphémères. Et le temps, le terrible temps grignote même leur souvenir. Chacun constate dans sa propre mémoire les ravages de l’oubli. Au point de croire à son triomphe final car, hormis quelques pauvres images serrées dans l’univers étroit de l’individu - bouées précaires ballottées sur une mer fuyante - il ne reste rien de la prodigieuse aventure imposée aux vivants. Tout s’efface, tout s’oublie, tout se perd dans le néant.
Il ne subsiste donc rien ? Oui : ici une pierre, là une phrase, un air peut-être ou un morceau de toile enduite de couleurs. Il ne reste que cela. L’œuvre-témoin. L’œuvre-arrêt. L’œuvre-réponse au temps destructeur. La seule réponse de l’homme à la vie, ce don non sollicité, cette étrange étincelle à peine perceptible dans le monde des galaxies, et dont le sens demeure indéchiffrable. Et, de l’œuvre, la pensée monte vers ces démiurges assez puissants pour marquer le temps d’un arrêt, pour donner à la foule anonyme l’illusion d’un triomphe de l’homme sur la mort.