J'eus un ami pendant vingt ans...
J'eus un ami pendant vingt ans,
C'était la fleur de mon printemps,
Tout cédait à son gai délire,
Le plus morose le fêtait ;
Comme il buvait ! Comme il chantait !
Cet ami s'appelait le Rire…
Hélas ! Hélas ! il est parti,
À ses serments, il a menti ;
Je demeure seul en ma chambre ;
La neige tinte à mes carreaux,
Je me chauffe avec des journaux,
C'était avril… je suis décembre…
Car ils m'ont tout pris, les méchants,
Ma gaîté, ma verve et mes chants ;
Autour de moi, monte le lierre,
Le lierre qui festonnera
L'humble tombe où l'on me mettra,
Sans regret comme sans prière…
Tu ressembles à l'homme qui s'éveille d'un long sommeil, ou plutôt, Lauzun, te voici comme le soldat qui ressaisit à la fois sa place et ses armes ! La guerre sera rude, elle doit l'être, une guerre de dix-neuf ans ! Tous ces cœurs, tu le sais, sont remplis de trahisons, de bassesses, de perfidies ! Raison de plus pour arracher de ton chemin ces ronces nouvelles, pour confondre l'envie par le dédain !
Oh ! la belle vie que celle où l'on se sent enfin maître de soi, où l'on demande compte à tous les moments de ceux que l'on a perdus ! Tant de lumière après tant de nuit, tant de bruit après un si morne silence ! Suis-je bien encore dans mon cachot à me débattre contre un rêve, Est-ce un démon qui me parle, ou tout cela est-il vrai? Non, je suis à Paris, dans mon hôtel, je pourrais dire mon palais. Oh ! mon orgueil humilié se relève enfin.
Oui, je suis LAUZUN, je suis jeune, je puis retirer ce large filet que je viens de tendre et j'y trouverai encore au fond une pêche facile. Mes mains, mes mains brûlantes s'agitent enfin dans l'espace, plus de fers, plus de prison ! Oh! oui, je suis libre, libre !