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Citation de Kikujiro


Ma règle était suffisamment plausible pour que j’essaye de nommer (j’en aurai besoin) ces deux éléments, dont la co-présence fondait, semblait-il, la sorte d’intérêt particulier que j’avais pour ces photos. Le premier, visiblement, est une étendue, il a l’extension d’un champ, que je perçois assez familièrement en fonction de mon savoir, de ma culture; ce champ peut être plus ou moins stylisé, plus ou moins réussi, selon l’art ou la chance du photographe, mais il renvoie toujours à une information classique : l’insurrection, le Nicaragua, et tous les signes de l’une et de l’autre : des combattants pauvres, en civil, des rues en ruine, des morts, des douleurs, le soleil et les lourds yeux indiens. Des milliers de photos sont faites de ce champ, et pour ces photos je puis, certes, éprouver une sorte d’intérêt général, parfois ému, mais dont l’émotion passe par le relais raisonnable d’une culture morale et politique. Ce que j’éprouve pour ces photos relève d’un affect moyen, presque d’un dressage. Je ne voyais pas, en français, de mot qui exprimât simplement. Cette sorte d’intérêt humain ; mais en latin, ce mot, je crois, existe : c’est le studium, qui ne veut pas dire, du moins tout de suite, « l’étude », mais l’application à une chose, le goût pour quelqu’un, une sorte d’investissement général, empressé, certes, mais sans acuité particulière. C’est par le studium que je m’intéresse à beaucoup de photographies, soit que je les reçoive comme des témoignages politiques, soit que je les goûte comme de bons tableaux historiques : car c’est culturellement (cette connotation est présente dans le studium) que je participe aux figures, aux mines, aux gestes, aux décors, aux actions.
Le second élément vient casser (ou scander) le studium. Cette fois, ce n’est pas moi qui vais le chercher (comme j’investis de ma conscience souveraine le champ du studium), c’est lui qui part de la scène, comme une flèche, et vient me percer. Un mot existe en latin pour désigner cette blessure, cette piqûre, cette marque faite par un instrument pointu; ce mot m’irait d’autant mieux qu’il renvoie aussi à l’idée de ponctuation et que les photos dont je parle sont en effet comme ponctuées, parfois même mouchetées, de ces points sensibles; précisément, ces marques, ces blessures sont des points. Ce second élément qui vient déranger le studium, je l’appellerai donc punctum; car punctum, c’est aussi : piqûre, petit trou, petite tache, petite coupure - et aussi coup de dés. Le punctum d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle, me point (mais aussi me meurtrit, me poigne).
Ayant ainsi distingué dans la Photographie deux thèmes (car en somme les photos que j’aimais étaient construites à la façon d’une sonate classique), je pouvais m’occuper successivement de l’un et de l’autre.
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