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Critiques de Rubem Fonseca (4)
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Le cas Morel

Mieux vaut tard que jamais! Je ne decouvre que maintenant, a mon age avance, ce grand bresilien qui nous a quitte en 2020. Il a ete policier, avocat, juge, avant de se consacrer a l'ecriture. Et dans ce livre, son premier roman, publie quand il avait 48 ans (en 1973), un des personnages lance a un autre: “Quelle vie sordide que la votre. Policier, avocat, ecrivain, toujours les mains sales". La derision est son metier.





Ce livre est un polar. Si on veut. Un thriller si on veut. Mais c'est surtout une plongee dans les abimes de l'abjection, de la ruine morale, qui ne sont peut-etre que le desarroi, la detresse que produit la societe moderne. Comme attrapes dans une toile d'araignee mortifere, les differents protagonistes ne peuvent entrevoir ni sauvetage ni fuite, mais seulement une lente (ou rapide) degradation, un suicide social.



Et c'est aussi une aventure litteraire. Un roman qui n'est pas simplement polyphonique. Aux differentes voix et pensees est entremele un texte qui s’ecrit peu a peu, un roman dans le roman. Et la critique de ce roman. Et comme pour accentuer ses faiblesses, des allusions a de grands romanciers, Proust, Maupassant, Tolstoi, Dante, et meme des citations. Et comme le heros est peintre, des considerations sur la peinture, que ce soit la peinture naïve, colorielle, du Bresil, ou celle de grands classiques, Uccello, Michel-Ange, le tout accompagne d'une critique des musees.





Mais commencons par le commencement. Un detenu, Morel, a qui on impute un crime mais qui n'a pas encore ete juge veut ecrire un livre (sa biographie?). Un commissaire de police, Matos, esperant que le livre servira d'accusation, lui amene un ecrivain pour le guider, Vilela.

Tiempo.

On passe a un photographe desabuse et sa recherche d'amour desenchantee. Le tout entrecoupe d’apartes: “Par dessus tout, sois honnete avec toi-meme”, “Ne dites pas sobaco, dites axila” [aisselle. J'ai lu ce livre en espagnol], “Le veritable ecrivain n'a rien a dire, il a une maniere de ne rien dire", “Les personnes qui n'ont rien a dire sont tres soigneux de la maniere de le dire". Et on se rend compte qu'on est passe au livre. Que ce sont des conseils d'ecriture. Au fur et a mesure il y a moins de conseils et plus de pensees intimes. “Un homme avait peur de rencontrer un assassin. Un autre avait peur de rencontrer une victime. L'un etait plus sage que l'autre". Sont-ce Vilela et Morel? Les apartes sont de Vilela? Ou peut-etre de Matos? Ou du greffier du tribunal?

Tiempo.

Nouveau chapitre, nouvelle rencontre, nouvelle critique du livre dans le livre, et on enchaine avec le photographe et ses amours qu'on entrecoupe par des considerations paralitteraires: Proust qui pose pour ses photos, Maupassant qui s'enorgueillit de ses prouesses: “Je peux plus de six fois en une heure". Puis le photographe visite son pere en hopital. Son pere qui se meurt.

Tiempo.

On nous raconte l'enfance de Morel (c'est du livre dans le livre?). Pauvre. Des 14 ans il travaille comme representant. Et nous passons a l'homme. Il a ete, est encore, peintre. Il a ete marie dix ans. Il ne l'est plus. Beaucoup de femmes. Des artistes. Il veut coucher, sans arret, avec de nouvelles rencontres, mais il a des problemes d'erection. Beaucoup de jeux erotiques, sadiques, proches du porno (ou carrement?). Tout se melange avec l'ecriture du livre? Oui et non, parce qu’apparait clairseme, isole, le mot “Pause" [Tiempo, dans la traduction espagnole]. Et on comprend qu'on passe d'un décor a un autre, d'une epoque a une autre, du livre a la vraie vie. “Tiempo”. Et vice-versa.

Tiempo.

Morel a l'idee de fonder une famille. Speciale. Avec plusieurs des femmes avec qui il couche ou veut coucher. Joana, jeune peintre qui ne jouit qu’avec des jeux sado-machos (jeux?). Et trois autres, une artiste, une prostituee et une bourgeoise aristocratique. Puis Joana disparait et on la retrouve morte, sur la plage, avec force marques de coups.

Tiempo.

Matos, le policier, a en mains le journal intime de Joana, ou elle decrit la “famille" ainsi que les jeux sadistes qu'elle forcait Morel a jouer. Il veut voir ce que Morel a ecrit mais Vilela refuse de le lui montrer. A partir de la Vilela devient le principal personnage de la deuxieme partie du roman. Esseule, en manque d'inspiration pour ecrire, il prend les renes de l'enquete. Il hante la plage et les baraques attenantes, interroge tous ceux qui auraient pu voir Joana vivante ou morte. Il croit savoir qui est le vrai assassin et convainc Matos de l’interroger. Un petit con qui a vole la bague que portait Joana. Mais quand on vient l’arreter a l'hotel ou il travaille, celui-ci se jete par une fenetre. Suicide. Etait-ce lui l'assassin? Ou Morel, malgre lui? On ne le saura jamais vraiment. “Un voleur est considere plus dangereux qu'un artiste".

Tiempo.

Drole de fin pour un polar. Derniere rencontre de Morel et Vilela. Morel terminera-t-il son livre? Ou sera-ce Vilela? “Nous sommes dans la meme cellule et nous nous regardons en silence. […] Nous sommes tres fatigues. En verite, nous sommes une seule personne et ce que l'un sent, l'autre le sent aussi. Logique. Par consequent notre fin aussi est la meme".





Ce roman se finit dans des silences. En des questions sans reponse? Ou peut-etre justement en grand bruit? Un petit passage que j'ai note, quelque part vers la moitie du livre, me donne une piste: “Personne ne savait ni voulait rester silencieux. J'ai vecu pres d'un institut de sourds-muets. Je passais des centaines de fois devant la porte et les muets conversaient furieusement avec des gestes violents. Ils criaient comme des fous".



Si sa fin est silence ce roman est un cri. Un cri subversif autant qu'atterre. Un cri qui derriere une esthetique seductrice montre (je n’ose dire denonce) les nombreuses descentes aux enfers permises, avalees, par nos societes modernes. Promises par nos societes? Je laisse la parole a l'auteur, ou a un de ses personnages: “Je suis un moraliste, je veux attaquer l'hypocrisie, nous avons besoin de plus de perversion pour moraliser le pays. Que pensez-vous de cette theorie?”.



Ce roman est un cri. Chante. Un tres beau chant. Subtil et penetrant. Un grand roman d'un grand ecrivain. Il nous parle de nous. “Nous les humains portons en nous les germes, continuellement alimentes, de notre propre destruction. Nous avons besoin d'aimer, et aussi de hair. De detruire, et aussi de creer et de proteger". J'ai decouvert Rubem Fonseca tard. Mieux vaut tard que jamais.

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Bufo & Spallanzani

Apres le cas Morel j'enchaine avec cet autre livre de Fonseca. C'est different mais j'y retrouve les memes obsessions litteraires. C'est aussi un polar (toutes ses oeuvres le sont?) mais encore une fois la trame en est fracturee et se disperse en considerations metalitteraires. Pourtant il reussit a tenir en haleine son lecteur. Et a l'amuser malgre la noirceur qui s'en degage.





Il y a bien sur une intrigue policiere. Une? Trois. La mort d'une femme: suicide ou assassinat? Puis une enquete, d'un temps passe: un homme qui se fait assurer pour u million de dollars meurt. Mais est-il vraiment mort ou est-ce une fraude bien montee? Puis une troisieme mort, surprenante, d'une femme dans un refuge de montagne. Est-ce que tout cela est relie? Comment? Simplement parce que c'est le meme policier qui enquete, en differentes periodes de sa vie? Un policier atypique a Rio parce que non corruptible? Ou est-ce le narrateur qui lie le tout? Cet ecrivain qui a pris pour nom de plume Gustavo Flavio (Gustave Flaubert, ca doit vous dire quelque chose)? Ce Flavio essaie d'ecrire un livre titre Bufo & Spallanzani et nous delivre meme l'ebauche de son premier chapitre (c'est une manie de Fonseca?), ou l'abbe Spallanzani se livre a une experience sur un crapaud, le brule lentement, et lentement le crapaud meurt. Spallanzani? Vous savez, ce celebre biologiste italien du 18e siecle effectuant des travaux expérimentaux sur la reproduction animale, qui sont à l'origine de la découverte de la fécondation externe chez les grenouilles et les crapauds (Wikipaedia dixit). Et son crapaud c'est Bufo, le bufo marinus ou crapaud buffle, cet horrible amphibien venimeux. Il parait que son venin, marie a une plante, toxique elle aussi, la pyrethrium parthenium ou grande camomille, attaque l'homme et le convertit, pour quelques heures ou quelques jours, en une sorte de zombie ou d'antizombie, vivant alors qu'il parait mort. Vous vous rappelez de l'arnaque a l'assurance? Mais laissons cela, Bufo c'est surement ce petit malfrat nocif qui assassine pour une poignee de dollars. Ou plutot cet autre imbecile au romantisme veneneux qui tue par amour? Non, ca doit etre ce malchanceux qui tue, a la pioche, un fossoyeur qui passait par hasard, par funeste hasard. Il y a tellement de morts… Et tous ces Bufo, ces petites fripouilles, vont-ils etre attrapes par la loi, vont-ils etre brules par le Spallanzani de service? Oh que non! Pas de ca chez Fonseca. Il y aura des Bufo qui s'en tireront parce les Spallanzani ont grand coeur ou sont trop desabuses. Les autres se feront bouffer par des crapauds buffles plus grands qu'eux, des cannibales vereux qui font peur a toute la mare, ou qui l'ont achetee. Ils ont instaure le chaos dans la mare, et ce n'est pas Fonseca qui peut retablir l'ordre. Son narrateur le dit: “L'ecrivain doit etre essentiellement un subversif, et son langage ne peut etre ni le langage mystificateur du politicien (et de l'educateur), ni le repressif du gouvernant. Notre langage doit etre celui du non-conformisme, du non-pharisaisme, de la non-oppression. Nous ne voulons pas mettre de l'ordre dans le chaos, comme le supposent certains theoriciens, ni meme rendre le chaos comprehensible. Nous doutons toujours de tout, y compris la logique. L'ecrivain se doit d'etre sceptique. Il doit etre contre la morale et les bonnes manieres".





Comme dans le cas Morel, ce livre a une fin ambigue. Tous les crimes ne seront pas vraiment resolus. le narrateur s'en etait excuse d'avance: “Tout roman souffre d'une malediction, une principale, entre autres: finir toujours de mauvaise facon. Si ceci etait un roman il ne pourrait echapper a la regle […] Les memoires, comme celles que j'ecris, souffrent aussi leur anatheme. Les memorialistes sont des ecrivains condamnes a la rancoeur et au mensonge".





Entre rancoeur et mensonge, le narrateur-ecrivain non seulement se permet de reflechir sur la litterature et le role ou le non-role de l'ecrivain, mais encore d'ironiser sur son propre produit: “C'est seulement une histoire de crapauds & hommes. Rien a voir avec la symbolique de Of mice and men. En quatrieme de couverture, l'editeur mettra quelque chose qui eclaire et motive le lecteur. En France, puisque le livre sera publie en d'autres pays, comme c'est toujours arrive avec mes oeuvres, on dira que le livre est une metaphore sur la violence du savoir; en Allemagne, qu'il denonce les abus perpetres par l'homo sapiens contre la nature et on n'oubliera pas de noter que c'est au Bresil, parmi tous les pays au monde, que ces abus sont commis a plus grande echelle et le plus stupidement (voir Jungle Amazonienne, Pantanal, etc.). Aux Etats Unis on definira le livre comme une cruelle reflexion sur l'utopie du progres. le mot hybris sera use comme anatheme. –Toute l'affaire c'est vendre, non? dit Orion. --L'ecrivain est victime de divers blames - dis-je- dont le pire est d'etre lu. Pire encore, d'etre achete, devoir concilier son independence avec le processus de la consommation. Kafka est bon parce qu'il n'ecrivait pas pour etre lu. Mais, d'un autre cote, Shakespeare est bon parce qu'il ecrivait en pensant au shilling qu'il percevrait pour chaque spectateur".





Si je juge d'apres sa presence dans ce site, Fonseca n'a pas recolte en France beaucoup de shillings. Laissant la question de sa remuneration de cote, il merite d'etre plus lu. C'est un esthete subversif et ce livre est d'une perversion jouissive. L'enfer etant pave de bonnes intentions, les bons et les mauvais pourraient etre interchangeables. Il y aussi enormement de saveur dans ce qui peut etre vu comme des digressions, les intrigues secondaires, les histoires dans l'histoire, les sauts du present de la narration au passe de l'ecrivain puis de ce passe au futur du crime. Ce livre risque d'eveiller en vous un rire acide, a force de fouiller les ruines de l'avilissement humain, et un sourire heureux quand vous trouverez un grand coeur enfoui dans ces ruines. Alors? Alors engagez-vous dans l'equipe de lecteurs archeologues! Vous decouvrirez le melange de suspense, d'humour, de reflexion litteraire, d'autoderision, qui caracterise la prose de Fonseca. C'est sa signature. Celle qu'il appose aux lettres de noblesse du polar.



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Un été brésilien

Un roman noir sur l'époque tumultueuse qui précède le suicide du président Getulio Vargas. Corruption endémique, mouvements populaires de protestation, attentats, on est dans le chaos. Le commissaire Mattos tente de démêler les fils de cette histoire tortueuse, mais aussi d’ordonner sa vie personnelle. C'est assez difficile à suivre, chaotique.
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Un été brésilien

Le roman de Rubem Fonseca – qui a fait carrière dans la police carioca- ne montre pas le Brésil facile, relax et accueillant qui charme la plupart des visiteurs. Le récit est rythmé par les aigreurs dues à l’ulcère à l’estomac de l’inspecteur Mattos, chargé d’enquêter sur un meurtre lié à une affaire de corruption. Mattos, grand amateur d’opéra italien, est un des rares flics incorruptibles de Rio, qui est encore, à l’époque, la capitale brésilienne. Alice, son ancienne amie, qui sombre peut-être dans la folie et est en instance de divorce d’un des suspects du meurtre, vient se réinstaller dans son appartement, provoquant la jalousie de Salete, la fille du peuple qui a séduit l’inspecteur.



Ces péripéties se mêlent aux événements de la Rua Tonelero d’août 1954, une tentative d’assassinat sur Carlos Lacerda, l’opposant principal du président Getúlio Vargas. La tentative coûtera la vie au Major Vaz qui accompagnait Lacerda. Le lieutenant Gregório Fortunato, l’ « ange noir » de la garde personelle du président a-t-il monté l’attaque ? Est-il aussi lié au meurtre sur lequel enquête Mattos ? Celui-ci a établi que le meurtrier était noir et a laissé sur les lieux du crime un anneau, semblable à celui que porte généralement Fortunato.



L’incident de la Rua Tonelero sera monté en épingle par l’opposition à Vargas. Celui-ci, emporté par le scandale, mettra fin à ses jours aux premières heures du 24 août 1954.


Lien : http://www.lecturesdevoyage...
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