Votre femme est-elle encore belle ?
La plupart diraient surement « oui ». Un ombre passerait pourtant devant leurs yeux. Presque rien. Une fulgurance. Le sourire d’une amie. Le visage d’une inconnue. Cette main frôlée dans l’ascenseur, et qui arrêta un instant les battements de leur cœur. Un point de fuite.
« Oui », diraient-ils, malgré tout. Spontanément. Réflexe pavlovien.
« Oui, ma femme est encore belle ! ».
L’usage d’un détecteur de mensonges serait absolument nécessaire dans ce genre d’enquête.
En bon chrétien, il était ce genre d’homme qui continue de marcher avec une épine dans le pied. Qui accepte la brûlure qu’elle inflige à chaque pas. La digestion de l’épine dans son système d’homme fataliste la rendait inoffensive : l’épine et la douleur qu’elle lui infligeait devenaient une composante banale, ordinaire, parfaitement intégrée par son organisme. D’ailleurs, l’épine ne comptait pas : seule la marche était importante. Le but, la direction, l’objectif.
La civilisation avait beau être là, à leurs pieds, dans les creux de la vallée, déjà elle s’effaçait. Ils s’enfonçaient maintenant dans un repli sauvage de la montagne, entre les pins, les chênes verts et les marronniers. On avait gagné quelques précieux degrés au thermomètre. À l’arrière, les filles dormaient enfin, bercées par un air enfin respirable.
Il est si facile de froisser l’amour propre d’une personne dont on a partagé l’intimité.
Car dans chaque couple les partenaires tiennent secrètement une carte d’état-major. Les points d’horreur et de bonheur du partenaire y sont indiqués.
Celui qui a su vous flatter saura vous horrifier.
« C’est idiot de tourner en rond, comme elle le fait. Ça ne sert à rien. C’est même bête. Votre mère est bête. À moins de monter en haut de la colline… on ne capte pas ici, un point c’est tout. Elle aura beau tourner en rond… cela ne lui amènera pas le réseau. »