Sébastien Michel

âme. Il ressentit successivement de la tristesse, de la déprime, du dégoût, puis un sentiment morbide. Il avait l’impression qu’on lui injectait, directement au cœur, des émotions noires. Il était conscient, mais manipulé par une énergie glauque, extérieure à lui.
En gesticulant, la chose rugit encore plus fort. Elle s’impatientait. Comme un pantin qu’un marionnettiste force à s’animer, Jonathan s’avança vers le poignard pour le ramasser. Pendant qu’il s’exécutait, la chose s’excitait.Elle bougea ses doigts sombres, à la manière d’un chef d’orchestre. Dès que Jonathan eut le poignard en mains, la bête informe entra dans une danse frénétique qui rappelait les transes des cérémonies vaudoues. Son rugissement devint plus aigu et strident, au point où Thierry dut se boucher les oreilles. Sous l’emprise du monstre, Jonathan ne pouvait en faire autant, mais le son le faisait pleurer. Les larmes mouillaient ses joues et tombaient en gouttes sur le poignard qu’il tenait à la hauteur de son ventre, la lame tournée vers lui.

Elle le regarda d’un air joyeux. Il remarqua encore une fois combien elle était belle. Elle était visiblement fatiguée, pourtant ses yeux verts brillaient et son sourire naturel donnait envie d’échanger avec elle, ne serait-ce qu’une politesse d’usage. « Dommage que je sois si timide et si malhabile avec l’autre sexe, songea-t-il. La plupart des gars de mon âge auraient déjà son numéro de téléphone ! » Puis, son esprit revint sur les péripéties avec l’ivrogne et il trouva la raison parfaite pour entamer la conversation.
— Vous aviez raison. Votre village est divertissant, quoique pas très reposant, lança Thierry, un pied dans l’escalier menant à sa chambre.
Magalie rit comme une enfant. Pendant une seconde, Thierry en oublia tout son stress. Il avait envie de rester avec elle et de ne plus penser à toute cette enquête.

Dans ses rêves les plus fous, il atteignait même des millions. Un espoir dont il avait longuement discuté avec son psychologue avant de mettre fin à sa thérapie. Le spécialiste croyait que cette ambition résultait d’un manque d’amour et d’attention pendant l’enfance. Thierry voulait être célèbre parce que papa et maman ne l’avaient pas assez aimé ! Sans être complètement en désaccord avec cette affirmation, il trouvait le raccourci superficiel. Après avoir lu un grand nombre de biographies de gens connus, il en avait conclu qu’ils avaient tous développé leur carrière sous une forme ou une autre de compensation psychologique. Il se disait que finalement, tout le monde vit toujours sa vie en réaction à son passé.

Aucune histoire, même la plus sensationnelle, ne valait de mourir… Mais il n’avait pas été tué non plus. Peu importe la nature, diabolique ou non, de ce monstre, ce n’était pas après lui qu’il en avait. S’il était prudent, il pouvait récolter la gloire tout en restant vivant. Il ferma les yeux, respira profondément pour se calmer, puis se leva pour remettre ses effets personnels dans la commode. Il rangea sa valise sous le lit et s’assit à l’ordinateur. Sa décision était prise. Il resterait à Damase et deviendrait célèbre. Pour ce soir, il écrirait un court article sur son blogue et ferait son topo webcam. Après cela, il pourrait prendre un repos bien mérité.

L’homme primitif était angoissé et violent. Il devait se fier à ses instincts puisque sa survie était menacée quotidiennement. Son imagination était en permanence remplie de monstres. En évoluant, nous avons placé ces monstres dans les remparts de l’ inconscient. La psyché humaine ne s’est jamais complètement débarrassée de ces monstres qu’elle porte en elle. Comme le Tartare, des gardiens puissants les gardent, mais il arrive que certains prisonniers s’ échappent et ouvrent un canal primitif vers notre réalité moderne.

Bien qu’il n’accorde pas beaucoup de crédibilité aux racontars des villageois, il était frustré du ton condescendant de la journaliste et de l’animateur. Thierry se passionnait pour l’ésotérisme, l’occulte et la parapsychologie. Il avait croisé son lot de sceptiques malhonnêtes, pompeux et méprisants. Les seules personnes faisant preuve d’une aussi mauvaise foi étaient les fanatiques religieux. Un peu comme si « Dieu » ou « Science » pouvaient être interchangés dans une phrase par ceux certains de détenir la vérité !

Un jour, alors qu’il était au grenier, il avait découvert un coffre rempli de livres. En les feuilletant, il avait eu l’impression de mettre la main sur un trésor. La plupart traitaient d’occultisme, d’ésotérisme et de paranormal. D’autres étaient des romans d’aventures mettant en vedette des archéologues maudits ou des explorateurs découvrant des cités d’or. Il n’avait jamais su à qui ils appartenaient, ni pourquoi ils étaient remisés là. Il n’avait jamais osé le demander, de peur de se les faire confisquer.

Thierry n’avait jamais eu beaucoup de succès avec les femmes. Il était timide, pas très beau et ne trouvait jamais les bons mots pour exprimer ses sentiments. Le grand paradoxe de sa vie d’ailleurs ! Il alimentait un blogue, un site Web, faisait des chroniques à la télévision et recevait des centaines de personnes chaque année pour leur parler de tarot et d’astrologie, mais il n’arrivait pas à parler d’amour.

Malgré son attirance pour les nouvelles technologies, il n’arrivait pas à se faire à l’idée d’acheter ses films préférés en numérique. Il aimait tenir un coffret dans ses mains et pouvoir feuilleter le livret qui l’accompagnait. Comme beaucoup de ses contemporains, il revenait même au vinyle pour la musique. Peu doué avec la gent féminine, Thierry était encore célibataire.

Une histoire à dormir debout, me direz-vous ? Probablement. Mais je vous ai promis d’enquêter sur les pistes que les grands médias et les autorités refusent de suivre. Je tiendrai ma promesse et, dès demain, je pars à la recherche de ce monstre… S’il existe, je le trouverai et vous le montrerai !