Citations de Sébastien Morice (62)
« Ma chère Soazig,
Chez nous, sur notre île, c'est vrai qu'on est seuls, mais c'est rien comparé à cette armée de combattants qui doit assassiner pour survivre. Le premier qu'on tue, c'est l'humain qu'on a dans le coeur. C'est pas possible autrement : sinon on se fait sauter avec une grenade pour ne plus voir les copains démembrés, les cadavres mis en pièces... »
(p. 62)
«Tantôt la mort murmure à l'oreille des soldats, tantôt elle vocifère. Jamais elle ne s'absente !
Je revois l'Ankou et son suaire et sa faux, c'est presque beau. Ici la faucheuse est couverte de boue et d'excréments. Jamais elle ne s'absente ! Elle roule au loin comme la mer et vient brutalement tout submerger, tout anéantir. Je la guette, je l'épie, mais elle nous ronge, même quand on dort. Mais dort-on ?
Elle imprègne nos vêtements : tout est putride et purulent. Jamais elle ne s'absente !
Je rêve de nos genets et de nos landes, de l'odeur de nos vaches, de la sueur de mon chien.
Je rêve du parfum de ta peau, de tes cheveux...»
[Lettre d'un poilu lu par le facteur à l'épouse du premier]
"Le passé me hante et le présent me terrifie. A quoi ça sert d'aimer dans ces conditions. [...} Ne m'attends pas ! La guerre sera longue et la vie est si courte !"
"Il ne mangeai plus, s'épuisait. Au mieux de sa forme, je l'asseyais sur une chaise de la cuisine et il passait des heures à regarder par la porte laissée entrouverte ce qui se passait au-dehors, sans bouger. Un refus total de se redonner vie. La guerre l'avait complètement déglingué..."
Au début, personne ne comprit vraiment l'intérêt de tout ça, notamment du superflu, quand on sait qu'il y a déjà tant à faire avec l'essentiel.
Printemps 1915.
[...] il découvre le plaisir de la chair et celui de l'os, le goût de la peau, de la caresse à la morsure, les coups de rein, les frôlements et les frottements, ce qui fait courir les mâles, ce qui les fait se battre, oubliant qu'à des lieues de son île perdue, d'autres hommes s'écharpent pour des égéries autrement plus sanguinaires, les nations.
(p. 57)
aucune ile n'est à l'abri des continents imbéciles
Pour celles qui savent lire, le plus simple est d'effacer. Après tout, les militaires ne s'en privent pas de caviarder les courriers, supprimant les noms de lieux, les indications stratégiquess, noircissant sans honte des paragraphes entiers.
- Un foyer et l'amour, y a que ça de vrai !
T'auras droit à deux pantalons, deux képis, une paire de chaussures... Mais évidemment pour toi, une suffira... Enfin tu t'arrangeras ! Tu as aussi une blouse pour l'été et un manteau pour l'hiver... Mais comme la guerre va être courte, tu t'en serviras point ! Et une sacoche, évidemment, tu verras, quand elle est chargée, le sale temps ou les sentiers boueux, tu vas les bénir ! Et comme tu récupères le courrier à envoyer, elle est jamais vide ! Ton prédécesseur faisait ses 10 à 15 kilomètres à pied, mais avec ta bicyclette, tu gagneras du temps !
Ah ! Encore une chose, mon gars ! Il serait bon que tu te laisses pousser la moustache. Une moustache fine et soignée, ça fait le facteur ! Et tu verras, ça plaira à nos bretonnes ! Mais attention, être au service des postes, c'est sérieux ! L'uniforme, on le respecte !
(p. 25)
Alors il comprend que les mauvaises nouvelles peuvent en libérer certaines et lui offrir de nouveaux cœurs à séduire, sinon à conquérir. Ainsi en est-il quand Maël donne en mains propres à Servanne, la lettre qui lui annonce la mort de son mari. Ils s'étaient mariés fin juillet, quelques jours avant qu'il ne parte, et avaient emménagé dans cette petite maison, au toit craintif, un peu au-delà du bourg.
" Tocsin" : Bon Dieu ! Que ce mot est laid pour l'athée et le pacifiste qu'il est ! Alors, comme partout dans le pays, vers 16 heures, les cloches s'excitent à la volée et, partout, on découvre l'affiche bouleversante, traumatisante...
C'est plus facile, il le sait bien, d'être vainqueur quand on est tout seul, mais tout de même....
Quand il repart, il se dit que la guerre est douce, quelquefois, et que facteur est un beau métier. Que si c'est ça être fonctionnaire, , c'est même pas la peine de le payer, il va s'engager pour la vie à servir ces demoiselles et ces dames et il refusera même de remettre des lettres à des hommes.
28 Juin 1914
L'archiduc Francois-Ferdinand, héritier de l'empire Austro-Hongrois, et son épouse, sont assassinés à Sarajevo par un jeune terroriste serbe.
Un archiduc autrichien, un terroriste serbe, voilà qui n'inspire au large des côtes bretonnes, qu'une profonde indifférence....
Seuls, ici, comptent les tâches journalières, la moisson qui ne va pas tarder, les thoniers en pleine campagnes..... On a du travail et aucune raison de s'alarmer de ce qui se passe dans ce Monténégro que personne ne connaît, ni ne situe...
... Sauf, probablement, Félicien, le seul à trouver qu'au-delà de ces sonorités dépaysantes, qui flattent son goût pour la poésie, il y a quelque chose de préoccupant....
Le «Mont Noir» : voilà qui n'annonce rien de bon.....
Là, sur cet îlot rocailleux abandonné aux frasques du fougueux Atlantique, la possibilité d'un conflit n’effleure même pas les esprits.
Pourtant, la sale guerre va bientôt frapper à la porte d'un coup de crosse de fusil et va la dégonder pour plusieurs années !
Dites aux enfants que je n'ai pas démérité, dites-leur de continuer à bien travailler, dites-le aux filles surtout. C'est sur elles qu'il faut compter désormais pour contrer la violence des hommes et leur aveuglement. Il n'y a que les hommes pour pousser au combat et, Ô comble !, éliminer ses propres soldats. Il n'y a que les mâles pour faire tant de dommages à la vie. J'ai honte de mourir pour ces chefs bornés, et de mourir injustement, au chemin des dames, le mal nommé...
[p77]
Pour l'école, c'est la sœur qui reprend le flambeau. Elle s'occupait déjà des filles. Quelques garçons de l'école publique à rapprocher de dieu, c'est pour elle une aubaine....Filles le matin, garçons l'après-midi. Le goupillon reprend ce que la république avait fait évoluer!
[début août 1914, instituteur d'un village breton]
- Je fais le nécessaire. Je vais placarder cet avis, trouver la garde-champêtre qui va claironner et hurler la mauvaise nouvelle... et prévenir le curé, pour le tocsin...
« Tocsin » : Bon Dieu ! Que ce mot est laid pour l'athée et le pacifiste qu'il est !
(p. 6-7)
La guerre me tue et va me tuer ! Je n'ai plus guère d'espoir d'en sortir. Personne n'en sortira.
Ne m'attends pas ! La guerre sera longue et la vie est si courte ! Refais ta vie avant qu'elle se défasse. Ne m'attends pas, Soazig. Tu es si jeune, je suis si vieux. De toute façon, si je reviens, je ne serai plus le même et tu ne m'aimeras pas comme je serai !
- Oui, moi aussi je pars, et je te la confie! Je serai sûrement plus utile avec nos soldats... Mais je dois t'avouer... pourvu que Dieu ne m'écoute pas... Je préférerais rester là... J'ai un peu peur...
- Peur de la mort, vous, mon père?
- Non, pas de la mort. De la souffrance plutôt...