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Citation de hcdahlem


Gilles faisait partie de ces élus qui parviennent à vivre de leur art. Il bouffait du Mozart à longueur de journée, tutoyait Brahms et Scarlatti, déchiffrait les concertos de Rachmaninov l’air de rien, s’avalait les Études transcendantales de Liszt en sirotant un soda glacé, se reposait le dimanche avec Gaspard de la nuit en doublant le tempo. Pour en arriver là, il avait travaillé comme une brute, et même plus encore, plus qu’on ne serait capable de se le figurer en réalité, car c’est à quatre ans et demi que le petit Gilles avait vu se dessiner ce qui serait la plus grande part de sa vie dans la grande bouche blanche et noire d’un piano de facture allemande Ibach, possession de l’école de musique municipale à rayonnement intercommunal de la ville de Dreux, et à partir de là, il n’avait pas vraiment eu d’autre intérêt, d’autre loisir, que l’enchaînement des gammes et arpèges, études de vélocité, préludes et fugues, inventions, partitas, valses en veux-tu en voilà, sonatines et sonates, mazurkas, rhapsodies, concertos, de Josquin Des Prés à Pierre Boulez, ce qui est relativement chronophage car on n’en a jamais fini avec tout ça, il y a toujours quelque part une petite cadence à parfaire, un adagio à réviser, et quand on croit en avoir terminé, une sonate de Scriabine qui vous tombe dessus sans prévenir. Sont donc passées à la trappe les crises des sept et dix ans, pour celle de la pré-adolescence on était occupé à préparer le Conservatoire national, il y eut Marguerite Long au moment des bouillonnements hormonaux et découverte stupéfaite du corps du sexe opposé, qui d’habitude vous tiennent en émoi pendant quelques années — ces années où il vous est très difficile de fixer votre attention sur autre chose que le délicat dessin de la nuque de Marion, votre voisine de deux rangées sur la droite en cours d’allemand, ou les fesses superbes de Caroline, votre acolyte du bus de ramassage scolaire —, eh bien à cette époque Gilles n’en était ni aux vertèbres de Marion ni au postérieur de Caroline — il en était à la deuxième Ballade de Chopin et au concerto Jeune homme de Mozart, ce qui franchement est bien assez. 
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