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3.73/5 (sur 11 notes)

Nationalité : France
Biographie :

Ségolène Dargnies est enseignante et auteure.

Elle est agrégée de Lettres Modernes à l'Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 (2005).

Documentariste à France Culture pour les émissions "Une vie une œuvre" et "Sur les docks" depuis 2011, elle est professeur de lettres depuis 2017.

"Piano ostinato" (2019) est son premier roman.

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Citations et extraits (10) Ajouter une citation
Pour parler ainsi à Bobby comme à un semblable, il avait fallu du temps, du temps et de la concentration, il avait fallu l’imaginer longuement, lui donner une enveloppe de chair, une palpitation. Ça peut paraître un peu fou, un peu précieux, mais j’ai besoin de ça, je converse peu avec les statues. J’ai eu besoin de te voir, au travail, ton ombre maigre derrière le piano, les cheveux en bataille, couvert d’une redingote épaisse, une écharpe interminable, des mitaines peut-être – bien sûr qu’il faisait froid, vous avez déjà eu chaud, vous, à Leipzig? –, Clara qui apparaît un peu plus loin, au second plan, chignon bas et serré, robe en laine grise bien cintrée à la taille, un peu austère mais qui lui va fort bien quand même, puis se rapproche de toi, jette un œil par-dessus ton épaule – tu écris quoi mon amour, encore une phantaisie? –, elle pianote, t'asticote, tu la repousses, tu as besoin de calme, de tranquillité. 
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Gilles faisait partie de ces élus qui parviennent à vivre de leur art. Il bouffait du Mozart à longueur de journée, tutoyait Brahms et Scarlatti, déchiffrait les concertos de Rachmaninov l’air de rien, s’avalait les Études transcendantales de Liszt en sirotant un soda glacé, se reposait le dimanche avec Gaspard de la nuit en doublant le tempo. Pour en arriver là, il avait travaillé comme une brute, et même plus encore, plus qu’on ne serait capable de se le figurer en réalité, car c’est à quatre ans et demi que le petit Gilles avait vu se dessiner ce qui serait la plus grande part de sa vie dans la grande bouche blanche et noire d’un piano de facture allemande Ibach, possession de l’école de musique municipale à rayonnement intercommunal de la ville de Dreux, et à partir de là, il n’avait pas vraiment eu d’autre intérêt, d’autre loisir, que l’enchaînement des gammes et arpèges, études de vélocité, préludes et fugues, inventions, partitas, valses en veux-tu en voilà, sonatines et sonates, mazurkas, rhapsodies, concertos, de Josquin Des Prés à Pierre Boulez, ce qui est relativement chronophage car on n’en a jamais fini avec tout ça, il y a toujours quelque part une petite cadence à parfaire, un adagio à réviser, et quand on croit en avoir terminé, une sonate de Scriabine qui vous tombe dessus sans prévenir. Sont donc passées à la trappe les crises des sept et dix ans, pour celle de la pré-adolescence on était occupé à préparer le Conservatoire national, il y eut Marguerite Long au moment des bouillonnements hormonaux et découverte stupéfaite du corps du sexe opposé, qui d’habitude vous tiennent en émoi pendant quelques années — ces années où il vous est très difficile de fixer votre attention sur autre chose que le délicat dessin de la nuque de Marion, votre voisine de deux rangées sur la droite en cours d’allemand, ou les fesses superbes de Caroline, votre acolyte du bus de ramassage scolaire —, eh bien à cette époque Gilles n’en était ni aux vertèbres de Marion ni au postérieur de Caroline — il en était à la deuxième Ballade de Chopin et au concerto Jeune homme de Mozart, ce qui franchement est bien assez. 
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INCIPIT
Je devrais songer à organiser un mouvement militant pour une eau à température ambiante dans les piscines municipales, pense-t-il en agitant dans l’eau son gros orteil droit en guise de thermomètre vivant. Ça n’est pas froid, c’est quasi polaire. Il immerge progressivement les pieds, les chevilles, puis chaque millimètre de peau, les jambes on se débrouille, c’est au-dessus que ça se corse, il ne faut pas penser, compter jusqu’à trois et plonger tout entier, la tête aussi, il a froid jusqu’à la dernière mèche de sa chevelure pourtant bien clairsemée.
Il se laisse couler au fond du bassin comme un petit paquet lesté, remonte à la surface par un preste battement des jambes. Il pose un bras, l’autre, au bout de quelques secondes, il se met à glisser dans l’eau, commence à accélérer un peu puis vire à droite en se faufilant sous les rangées de bouées rouges pour rejoindre la ligne rapide. Ici, il n’y a personne encore, après tout il n’est que sept heures du matin passées de neuf minutes. Il maintient une légère tension musculaire pour continuer à prendre de la vitesse sans pour autant s’épuiser. Pour ce matin, Gilles a imaginé un programme d’échauffement très simple: mille mètres de crawl, autant de brasse coulée, et cinq cents mètres de papillon. Puis il s’accordera une petite pause, pour la suite on verra bien. C’est un bon jour, il avance sans effort, se sent souple et délié. Et léger: dans l’eau, on ne pèse qu’un tiers de son poids, c’est bien cela ? À peine une vingtaine de kilos donc, calcule-t-il au passage, au départ il est plutôt gringalet. Un corps de cérébral, lui a dit un jour son médecin généraliste: vous êtes de ceux qui brûlent toutes les graisses avachis dans leur fauteuil le plus moelleux à force de fantasmagories et autres élucubrations de l’esprit, un programme diététique qui en ferait rêver plus d’une, n’est-ce pas monsieur Sauvac ? lui avait-il demandé en abaissant légèrement ses lunettes rondes d’hypermétrope. Maybe, avait répondu Gilles, circonspect.
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En quelques semaines, il était devenu un nageur de brasse plus qu’honorable. La technique du crawl avait réclamé quelques leçons. Dans cette période de sa vie où il avait refoulé tout amour-propre, il s’en était remis à Sylviane, maître-nageuse de son état, qui avait accepté de l’initier à son art entre deux leçons dispensées à des mioches qui devaient avoir un dixième de son âge. N’oublie pas que to crawl signifie ramper, allonge-toi dans l’eau comme si tu cherchais à t’extraire de sols boueux, lui soufflait-elle en promenant le long du bassin bleu ses fines jambes musclées. Voilà, c’est ça, fais confiance à l’eau, abandonne-toi. Il s’abandonnait tant qu’il pouvait en aspirant de larges gorgées de liquide chloré. Fixe-toi un tempo mais sois fidèle à ton rythme intérieur, lui avait-elle dit un peu plus tard alors qu’il parvenait à trouver la gestuelle adéquate. 
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Gilles menait une existence douillette, plutôt enviable, propriétaire qu’il était d’un superbe trois-pièces au dernier étage d’un immeuble haussmannien avec terrasse fleurie de lilas et vue sur les Buttes-Chaumont, ce qui est du dernier chic paraît-il, quoique moins coté encore que les environs du canal Saint-Martin, si l’on en croit une étude complète et rigoureuse menée le mois dernier par un hebdomadaire à large tirage et intitulée sur proposition du stagiaire à la communication « Vivre Paris », doté d’un abonnement annuel et automatiquement renouvelé à l’Opéra, entretenant des liens d’amitié sincères avec quelques amis tout aussi distingués — parmi eux un écrivain, Thomas —, partageant enfin la vie d’une chanteuse lyrique brune et splendide, haute comme le ciel, à l’esprit vif et effronté, prénommée, elle, Clara. 
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Ségolène Dargnies
Je joue, je joue encore, je déroule mes arpèges sans parvenir à comprendre où je trouve la force, reprise des tutti, l’orchestre brille, et les cordes reprennent en chœur, j’y retourne, je joue, je ne sens plus mes mains, plus mes bras, je n’ai plus de corps je crois, ce chant du hautbois me maintient en vie, j’y suis encore, je fais claquer ces grands accords, et nous nous acheminons vers la fin.
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Gilles faisait partie de ces élus qui parviennent à vivre de leur art. Il bouffait du Mozart à longueur de journée.
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Ségolène Dargnies
Pour ce matin, Gilles a imaginé un programme d’échauffement très simple : mille mètres de crawl, autant de brasse coulée, et cinq cents mètres de papillon. Puis il s’accordera une petite pause, pour la suite on verra bien.
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Ségolène Dargnies
Un matin au réveil, il a plus envie d’aller nager que de se mettre à son instrument, ce qui est une nouvelle absolument renversante dans sa vie intérieure.
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Ségolène Dargnies
C’est vrai que nager c’est d’abord une histoire de tempo.
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