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Citation de sergeboisse


Remontant la rue Lapeyrousse, ils se dirigèrent vers la place Wilson.
– Vous vous appelez comment ? Demanda Léa.
– Brice.
Léa faillit lui demander « Ça vous embête, si on se tutoie ? », mais elle s’abstint. Le « vous » avait tellement plus de charme !
– Brice, dit-elle au lieu de cela. Vous n’avez pas une tête à vous appeler Brice.
– Ah oui ? Et j’aurais une tête à m’appeler comment, selon vous ?
– Euh… Guillaume, ou Thibault, ou Henri, Ou Arthur ?
– Des prénoms qui datent du moyen-âge ! Mais c’est amusant que vous disiez cela, parce que je suis d’une vieille famille très aristocratique.
– Ah !
– Quoi, Ah ?
– Et à part l’hypnose, vous faites quoi dans la vie ?
– Rien.
– Rien ?
– Disons que je passe le plus clair de mon temps à l’obscurcir !
– Non, mais quoi ?
– Je vous l’ai dit, je ne fais rien. J’ai assez d’argent pour vivre sans travailler. Mais j’ai des loisirs, l’hypnotisme, le cinéma, je lis beaucoup aussi.
– Moi, aussi, j’aime lire !
– En dehors du chien, le livre est le meilleur ami de l’homme. En dedans d’un chien, il fait trop noir pour lire !
Elle rit, et soudain, elle devint belle comme un automne encore resplendissant du soleil de l’été.
– C’est de vous ?
– Non, Hélas ! C’est de Groucho Marx. J’aurais bien aimé écrire, mais je suis un auteur maudit.
– Maudit ?
– Je n’ai jamais écrit une ligne ! N’est-ce pas terrible, pour un romancier ?
– L’angoisse de la page blanche ?
– Probablement. Et puis, je préfère vivre ma vie plutôt que de raconter celle des autres. Cela changera, un jour.
Ils s’installèrent à une table en terrasse de la Brasserie Capoul, un des hauts lieux de la ville, fondée en mille neuf cent vingt-sept, très sélect et raffinée, très années trente. Léa nota comment le langage de Brice avait changé. Il s’exprimait d’une manière recherchée, élégante, à cent lieues du langage familier qu’il avait utilisé lors de la séance d’hypnose de rue. Etait-ce une stratégie de séduction ? C’était visiblement quelqu’un de très intelligent. Petite fille, pensa-t-elle, tu es en train de te faire prendre dans sa toile. Fais attention !
– Mais, répondit-elle, entrant dans son jeu, un romancier ne raconte pas la vie des autres, il la rêve !
– Très juste ! Shakespeare a écrit : « Nous sommes faits de la même matière que les rêves ». Mais savez-vous qui a dit : « La vie ne vaut d'être vécue, si on ne la vit comme un rêve. » ?
– Un écrivain ? Un poète ?
Il secoua la tête, commanda deux coupes de champagne rosé au garçon qui venait s’enquérir de leur commande. Léa s’étonna.
– Du Champagne ? On fête quoi ?
– Notre rencontre ! Alors, qui a dit cette phrase ?
– Un artiste ?
– James Bond !
– C’est vrai ?
– C’est vrai ! C’est dans « Le monde ne suffit pas ».
– Je ne suis pas trop fan de James Bond.
– Moi, si ! Ce que je préfère, ce sont les personnages de méchants. Ils sont tellement…
– Psychopathes ?
– Tout dépend du point de vue qu’on adopte. La méchanceté, c’est complètement relatif ! Regardez l’évolution des mœurs. Ce qui offusquait nos grands-parents passe maintenant pour de la liberté d’expression. Il n’y a plus un bon film sans une scène de sexe. Les perversions d’autrefois sont devenues des modes de vie. Vous savez ce que c’est la perversion ? Ce n’est qu’une affaire de goût, c’est comme la bouffe chinoise, on aime ou on n’aime pas. N’empêche que quand on est chinois, on n’a pas le choix.
Il changea brusquement de sujet.
– Et vous, demanda-il. C’est quoi, votre vie ?
– Oh, moi ! C’est tellement banal !
– Je suis sûr que cela n’a rien de banal. C’est votre vie, après tout, et vous n’êtes pas du tout banale.
Léa rougit légèrement. Il sait s’y prendre, pas de doute, pensa-t-elle en portant sa coupe à ses lèvres.
– A nous, dit-il en levant sa coupe.
– Comme vous y allez ! Il n’y a pas encore de « nous ».
– J’aime bien ce que vous venez de dire.
– Quoi ?
– Vous avez-dit « pas encore ». J’aime cela. Parce que vous me plaisez…
Oh, non, quel dommage ! Tu vas trop vite, regretta-t-elle. Si tu avais pris le temps de bien me draguer, je serai peut-être tombée dans tes filets. Mais là, il va falloir que tu rames sec pour compenser.
Brice réalisa qu’il avait trop avancés ses pions.
– … Ce qui ne veut pas dire que je vous prends pour une future conquête. Je ne suis pas comme cela. Je voulais simplement dire que je vous trouve très séduisante, et j’ose seulement espérer que vous ne me trouvez pas trop mal non plus.
Beau rétablissement. Un peu acrobatique, mais c’est bien tenté. Allons, donne lui un peu l’illusion de la victoire. Mais quelque chose en elle avait été brisé. L’élan de sympathie spontanée qu’elle avait ressenti pour lui avait disparu. Il était trop calculateur, trop sûr de lui.
– J’avoue que je vous trouve sympa, et plutôt beau garçon, dit, elle.
Brice sourit.
– Mais, ça ne suffit pas pour que je tombe amoureuse de vous. Ajouta-t-elle.
– Oh, l’amour ! L’amour coup-de-foudre-au-premier-regard, c’est rare et ça ne dure pas forcément très longtemps. L’amour, ça peut venir progressivement aussi, et c’est bien plus solide.
– Mais pourquoi parlons-nous d’amour ? Dit-elle tout à trac. C’est mon cul que vous voulez.
Il eut un sursaut.
– Quoi ? Mais non, je vous assure !
Elle se leva.
– Allez, sans rancune. J’ai bien apprécié cette conversation, et merci pour la coupe. Mais maintenant, je m’en vais. A un de ces jours, peut-être ?
Il accusa le coup, l’air vraiment dépité. Elle eut presque pitié.
– Puis-je au moins vous demander votre zéro-six ? Supplia-t-il.
– Vous pouvez demander, dit-elle en s’éloignant.
Le jeune homme n’essaya pas de la suivre. « La partie n’est pas finie », se dit-il, en finissant sa coupe de champagne. « Je te retrouverai un jour, peut-être. Et puis, j’ai implanté un trigger dans ton subconscient. Tu crois avoir toutes les cartes en main, mais ça, c’est mon Joker. On verra bien qui rira le dernier. »
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