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4.33/5 (sur 6 notes)

Nationalité : Belgique
Né(e) à : Charleroi , le 11/08/1969
Biographie :

Serge travaille comme consultant en stratégie et en marketing.
Il est l'auteur du Carnet, de l'Etoile filante et du Fabuleux destin de Belvédère Boursin.

Son 4ème roman intitulé L'élégant (Editions Maia ) est publié en juin 2020, suivi un an plus tard par Un automne à la Garde Freinet (Estelas Editions)


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Bibliographie de Serge Tailler   (6)Voir plus

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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Il arrive chez lui. Il ne veut aucune interférence de Sandra et coupe son GSM. Il se déplace dans la maison en tournant en rond, tenant en mains le numéro de téléphone de Julie inscrit sur un morceau de papier. Il prépare son cérémonial d’appel qu’il répète en se faisant couler un café. Il est incapable de structurer sa pensée et se sent fébrile. Son café terminé, il décroche le combiné du téléphone fixe. Il est un peu moins de seize heures quand il compose son numéro. Dès la première sonnerie, il est tenté de raccrocher.
A la septième sonnerie, une voix féminine répond. C’est la voix de Julie. Cette voix Martin peut la reconnaitre parmi toutes les autres. Il marque un silence, il ne sait plus quoi dire lorsque la voix répète allo pour la troisième fois. Elle va raccrocher.
— Bonjour, suis-je bien chez Julie Fusch ?
Julie répond.
— Oui.
Martin ne la laisse pas continuer.
— Pourrais-je lui parler, s’il vous plait ?
Martin est mal à l’aise et se sent gauche et ridicule. Il voit l’image de Julie qu’il idéalise dans son imaginaire devenir floue et méconnaissable.
— C’est elle-même. Qui est à l’appareil ? C’est à quel sujet ?
Julie a une voix grave. Elle semble être importunée par l’appel de Martin qui de son côté commence à s’enliser.
— C’est Martin, Julie. Martin.
— Martin ? Quel Martin ?
— Martin, il n’y a pas cinquante Martins.
— Oui, bon écoute Martin. Que se passe-t-il parce que là, je suis avec mon mec et on se prépare à partir. Il me demande déjà qui est à l’appareil.

— Julie, dis à ton mec comme tu l’appelles que je ne vais pas être très long. Ben euh, Julie, je t’appelle pour te dire que je pense sans cesse à toi … et que depuis …ça doit faire …quoi vingt ans maintenant …. ..vingt ans que je suis follement amoureux de toi. De toi et depuis toujours en fait …
— C’est quoi ces conneries ?
— Il n’y a aucune connerie, Julie. Je voulais juste que tu le saches et je ne peux plus….
— OK. Bon weekend Martin. Salut.
Julie a raccroché.
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Il est un peu plus de quatre heures cette nuit-là lorsque Jean Claude secoue Belvédère pour l’extirper de son petit lit tandis que Christiane et Gérard sont encore larvés dans leur sommeil.
Après un petit-déjeuner sommaire et pris à la hâte, les deux quittent le foyer familial au milieu de la nuit noire pour se diriger vers le puits numéro 24 auquel le père est assigné depuis plus de dix ans.
Belvédère est admis à l’essai pour quelques semaines grâce à l’intervention de son père mais aussi de celle de Marijke. Jean-Claude se porte garant de son jeune fils tandis que, de son côté, Marijke ne déroge pas à ses habitudes et pioche dans la caisse de son mari pour corrompre le contremaître.
Si la période d’essai n’est pas probante, le jeune stagiaire devra alors déloger le puits et se dégoter une autre situation.
Le cadet des Boursin n’éprouve ni joie ni appréhension à la perspective de descendre au fond de la mine. Il est bien conscient que les journées passées dans les entrailles du 24 risquent d’être plus éprouvantes que celles passées à l’école mais peuvent aussi s’avérer tellement plus distrayantes que les longues et rébarbatives heures qu’il a parfois pu passer sur les bancs de son ancien établissement scolaire.
Belvédère est plus frêle et moins robuste que son frère mais néanmoins pourvu d’une bonne condition physique. La rudesse du quotidien ne l’effraye pas outre mesure et la perspective d’apprendre enfin quelque chose éveille sa curiosité.
Les premières heures passées au fond du 24 sollicitent chez lui une émulation inattendue et salvatrice. Son petit gabarit couplé à son tempérament intrépide lui permet d’accomplir des tâches hors de portée des adultes, en accédant à des failles jusque-là inexplorées. En quelques heures, Belvédère se mue en petit héros qui suscite la sympathie des collègues de son père. Le cadet Boursin est le seul piocheur en bas âge, hormis une jeune fille à peine plus âgée que lui, prénommée Josy.
Josy fait sa première descente dans la cuvette environ six mois plus tôt. Elle est l’unique mouflette d’une famille abonnée à la mine depuis trois générations. Elle n’a jamais mis les pieds à l’école et s’est imprégnée de quelques rudiments scolaires à distance en aidant Malou, sa pauvre Maman, illettrée et grabataire.
Cela fait des années que la petite Josy assiste ses parents qui cumulent déboires financiers et problèmes de santé.
Le vocabulaire de Josy est celui du néolithique et son élocution est à couper à la hache mais la galopine n’est ni vilaine ni repoussante.
Ses yeux, d’un bleu étincelant, mettent son visage en lumière et masquent maigreur et pâleur maladives.
Dès la première entrevue, Belvédère ressent une irrépressible attirance pour la petite Josy et ni son terrible accent ou encore son vocabulaire primitif n’enraye l’élan du garçonnet.
Belvédère lui propose son amitié mais la petite carolo lui répond sans détour qu’il doit d’abord faire ses preuves. Elle lui explique avec un accent abominable et quelques mots ramassés à la hâte qu’elle n’a pas pour habitude de frayer avec le premier venu et que Belvédère doit l’impressionner s’il veut obtenir son amitié ….et ponctue ses propos par un « et plus si affinités ».
L’intégration de Belvédère au sein de sa nouvelle communauté est instantanée et après quelques jours, il s’exprime déjà dans le même jargon que Jean-Claude et ses camarades. Il adopte les usages, profère les mêmes insultes et se divertit de la même manière que les adultes.
Deux semaines après la descente initiale, Jean-Claude et son fils regagnent le domicile familial revêtus de leur bleu de travail, maculé de houille et de boue. Le père est fier de son fils comme si celui-ci venait d’être proclamé Prix Nobel de Littérature.
Arrivés au coin de la rue, ils aperçoivent Gérard qui descend du bus affublé d’un uniforme droit et amidonné de jeune aspirant policier.
Belvédère est hilare lorsqu’il aperçoit son frère, attifé de son uniforme parfait qui fait reluire sa première étoile. Sa jubilation est contagieuse car Jean Claude ne peut pas non plus se retenir en voyant son aîné parader en rue dans son accoutrement disgracieux.
En les voyant tous les trois remonter la chaussée, il est difficile pour tout observateur extérieur d’imaginer qu’ils appartiennent à la même famille et vivent sous le même toit.
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De Monbazillac m’a mis KO dès le premier round.
Il ne m’a pas laissé l’occasion d’encaisser la violence de ses coups, ni de me défendre. Il m’a traité comme un chien, tirant profit de tous les arguments que je lui ai servis sur un plateau sans m’en rendre compte. L’audience n’a duré qu’une vingtaine de minutes et le vieux mandarin ne m’en a pas laissé placer une. Il a flairé, dès le début, la vulnérabilité de ma position, soulignant la médiocrité de mon argumentaire et de mon état des lieux. Il a déballé son monologue sans me regarder et sans trouver d’espace pour le consensus. Fort de sa position de dominant, il n’a pas davantage cherché à remplir son rôle de guide afin de m’aiguiller vers des pistes qui m’auraient permis d’avancer.
Mon mentor n’avait plus une seconde à perdre, lui qui allait bientôt endosser le costume de l’univer-sitaire émérite et couler une retraite paisible tout en continuant à être reconnu et convié à diverses mon-danités académiques. Il comptabilisait ses heures comme s’il était subventionné et avait déjà amorcé sa descente vers l’apathie. Il considérait ne plus avoir à se diluer avec un impétrant qu’il jugeait médiocre et paresseux. Il aspirait à ne plus s’embarrasser d’un cheval de trait, lent et têtu, qui n’avait rien à faire dans son écurie de pur-sang universitaires dont il s’appropriait la reconnaissance. À quelques semaines d’une retraite justement méritée, il ne voulait pas terminer son parcours et associer son nom à une thèse qui n’était pas le reflet de sa carrière. Son aspiration était de gravir une dernière fois la plus haute marche du podium avant de quitter la faculté qui avait été un peu la sienne pendant une dizaine d’années.
Je suis sorti de son bureau silencieusement, frappé par la virulence des remarques qu’il venait de proférer. J’ai traîné les pieds dans les longues coursives de la Sorbonne jusqu’au grand hall d’entrée. Je n’ai eu ni le courage ni l’énergie de grimper jusqu’au bureau de Le Foll que j’avais promis de venir saluer après mon entrevue.
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« L’été 1993, Franz, mon père, n’a pas eu l’occasion d’assister, en compagnie de ses amis d’estaminet, à l’ancestrale marche napoléonienne du quartier où habitaient ses parents. Les festivités se déployaient, comme chaque année, la seconde semaine de juillet et s’étendaient sur près d’une semaine.
L’antique procession folklorique et militaire, datant de plusieurs siècles, était le rendez-vous obligé de tous les habitants du quartier. Mon père répondait de sa présence lors de chacune des éditions, comme le faisaient voisins, riverains et clients de mon grand-père, lequel tolérait qu’on affiche le programme des festivités sur la vitrine de son commerce, mais n’y mettait jamais les pieds, considérant la manifestation trop plébéienne à son goût.
Cet été-là, Franz n’a pas eu l’occasion de célébrer la vieille marche folklorique en compagnie de ses camarades de buvette, lesquels étaient devenus, sur la fin de sa vie, ses derniers amis.
Mon père a expiré son dernier souffle deux jours avant le début de la kermesse, et la fête battait déjà son plein lorsque son cercueil de bois clair a quitté l’église. Les marcheurs envahissaient tout l’espace de la petite place face à l’église, et la voiture mortuaire peinait à manœuvrer pour se rapprocher de la dépouille de mon père afin de l’emmener vers sa dernière tournée. Mon frangin et moi venions de nous extraire de la paroisse. La chaleur était accablante le jour de ce sombre rendez-vous. Nous avions à peine franchi le seuil du parvis que les premiers roulements de tambours commençaient déjà à retentir, tandis que l’édifice se dégorgeait lentement de ses fidèles et de quelques touristes davantage motivés par la relation publique que chagrinés par la mort de notre père. Quelques “tante Odette” et “oncle Marcel” ont défilé pour nous présenter leurs condoléances. Quelques rares membres de la famille de Louise, ma grand-mère, avaient fait le voyage depuis le fin fond de leur terre natale et se sont rapprochés pour nous serrer la main. Certains d’entre eux nous ont toisés d’un air un peu indifférent, tandis que d’autres paraissaient irrités d’avoir fait le déplacement par égard pour la famille Deschrijver dont mon père était un singulier protagoniste, incapables de se remettre en mémoire nos prénoms, en nous associant plus prosaïquement aux deux rejetons de l’alcoolique.
Les larmes ont roulé sur mes joues lorsque j’ai vu le vaste hayon de la grosse limousine américaine ouvrir sa mâchoire pour dévorer le cercueil en bois clair qui venait de quitter la sacristie. La messe avait été simple et sans fausses notes, et j’étais resté tendu et crispé durant toute l’oraison du pauvre curé qui s’en était sorti sobrement et avec élégance. Je n’avais pas eu l’énergie ni le courage de répondre à sa demande de briefing deux jours plus tôt et avais délégué le soin à ma tante Nadine, la sœur de Franz, de rédiger le synopsis. La sortie de la messe est devenue plus douloureuse encore lorsqu’un gang de soûlards a déboulé de la guinguette située face à l’église pour me témoigner leur compassion. Franz Deschrijver était un chic type mais surtout un fidèle compagnon de sortie. Un des fanfarons, déjà bien atrophié par l’alcool en ce milieu de matinée, m’a apostrophé pour me demander si c’était bien le fils Deschrijver qui se trouvait dans la boîte. Il a encaissé un coup de coude d’un de ses acolytes qui m’avait reconnu, lequel l’a prié de faire preuve d’un minimum de dignité en lui faisant comprendre à demi-mot que j’étais le fils de Franz. Les soiffards, même s’ils étaient étrangers à notre famille et non conviés aux funérailles de mon père, étaient aussi endimanchés dans leurs accoutrements de marcheurs napoléoniens, devenus orphelins à leur manière. Ils n’auraient pas l’occasion de croiser leur ami Franz cette année ni les suivantes et ne bénéficieraient plus de ses largesses. Franz n’aurait pas l’opportunité de les faire rire et de les amuser, ni de leur mettre quelques tournées comme il en avait l’habitude. Un membre de la troupe, sobre, a posé sa grosse main sur mon épaule et a salué la mémoire de mon père. Franz Deschrijver, il le connaissait depuis des années. Il l’aimait bien et m’a brièvement fait comprendre qu’il savait qui il était et quelle avait été sa vie. Franz était un chic type, un gars fidèle qui ne se prenait pas au sérieux et qui aimait ses enfants, m’a-t-il dit en me regardant droit dans les yeux. Sa voix chevrotante ne pouvait dissimuler son émotion. Les larmes lui sont montées aux yeux lorsque je lui ai adressé un sourire et l’ai remercié, touché par ses paroles. Je n’ai pas eu le temps de prolonger mon aparté avec les derniers témoins de la vie de mon père, car le cortège se mettait déjà en route pour un dernier voyage reliant la place au cimetière où mon père allait rejoindre Édouard, mon grand-père, prenant de manière anticipée la place de sa mère. L’ordre naturel eût été qu’elle le précède et qu’elle rejoigne son mari avant lui, mais Louise était encore bien vivante. Bernard et moi avons fait un dernier adieu à notre père avant de nous débarrasser, soulagés, de nos oripeaux pour passer du temps avec nos proches et notre famille. »
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Partie 1: 22 jours après Armstrong.
Il est quinze heures trente-huit minutes ce dimanche deux mars 1969 lorsque les ingénieurs Français de Sud Aviation et Anglais de British Aircraft Corporation, entourés de quatre cents journalistes voient Concorde 001 quitter la piste de l’aéroport de Toulouse Blagnac. Lancé à trois cent vingt kilomètres heure, les roues du train avant du premier avion supersonique s’arrachent du sol vingt-deux secondes plus tard pour s’encastrer dans le fuselage pour un vol expérimental de vingt-sept minutes. En moins d’une demi-heure, les quatre réacteurs Olympus engloutissent plus de quinze tonnes de kérosène. Il est près de seize heures cinq minutes lorsqu’André Turcat aligne le grand oiseau métallique en bout de portée et pose sans encombre les nonante neuf tonnes de l’appareil sur le tarmac. La première sortie du prototype couronne sept années d’efforts, des milliers d’heures de travail et porte l’espoir et l’attention de deux pays décidés à relever le défi Américain.
Il est un peu plus de vingt-deux heures ce vingt juillet 1969 lorsque l’équipe d’astronautes du CAPCOM qui suit en direct depuis Houston le parcours spatial de Saturn V reçoit les premières images de Neil Armstrong et d’ Eddie Buzz Aldrin qui viennent de se poser sur la lune. Six cents millions de personnes, les yeux vissés sur leur écran de télévision, assistent à la descente d’Armstrong de la capsule lunaire Apollo. Après avoir mis le pied gauche sur le sol, il lâche cette phrase vouée à l’histoire « Un petit pas pour l’homme mais un pas de géant pour l’humanité ».
Vingt-deux jours après Neil Armstrong, il est neuf heures trente-neuf lorsque Christiane Boursin pose son premier pas dans le hall d’entrée de la maternité Sainte Boutroulle à Charleroi, au cœur de la Wallonie. Elle franchit le hall d’entrée et appelle l’ascenseur pour se rendre au premier étage. Il n’y a aucun représentant de la presse dépêché à la clinique en cette matinée du onze août et personne d’autre que Christiane et son gynécologue n’assiste à la naissance de son fils Belvédère trois heures plus tard.
Belvédère Boursin incarne le futur du pays noir, jeune héritier de géniteurs eux-mêmes cent pourcent de souche Carolorégienne.
Le choix de ce joli prénom ne fait aucune référence à sa terre natale. Il n’est pas non plus le choix délibéré de ses parents mais la conséquence d’une erreur administrative d’un fonctionnaire de l’état civil, fervent amateur de mots de croisés et un peu distrait ce matin-là.
Cette modique bévue d’ordre administratif, le couple Boursin ne la relève que quelques semaines plus tard mais n’entreprend aucune démarche auprès de l’administration afin de rectifier le tir. Ils ne tiennent pas davantage rigueur à cet insouciant fonctionnaire de l’état civil, cruciverbiste à ses heures et vraisemblablement absorbé par sa grille ce matin-là. Les parents finissent par se convaincre que Belvédère est un prénom expressif, bienvenu dans cette région parfois en manque d’éclat.
La maman de Belvédère se prénomme Christiane, label très tendance en cette fin des années soixante. Le papa répond au nom de Jean Claude, plus conventionnel bien que non dénué de grâce. Christiane et Jean Claude vivent en périphérie de Charleroi. Il est mineur tandis qu’elle est femme au foyer.
En cette fin de décennie, les carolorégiens sont à l’image de leur sous-sol. S’il est indéniable que les entrailles de la région furent riches quelques décades plus tôt, l’opulence n’est aujourd’hui plus d’actualité et la magnificence de la région est définitivement révolue.
Antoine Laurent de Lavoisier avait raison. Et selon la formule consacrée de ce chimiste, philosophe et économiste, rien ne se crée, rien ne se perd et tout se transforme. Le modèle économique Carolorégien est l’indéniable illustration d’une prospérité qui appartiendra bientôt au passé. Les golden years du pays noir rejoignent lentement le cimetière des éléphants.
Jean Claude est porion et son gagne-pain n’est déterminé ni sous la contrainte de la résignation, ni sous la pression d’un quelconque impératif économique. Son engagement est celui de la conviction et de la détermination, en parfaite connaissance de cause.
Jean Claude Boursin a la singularité d’être le seul mineur connu à ce jour à ne pas être descendu au fond du trou sous le poids de l’asservissement. Car ce que Jean Claude aime par-dessus tout, c’est extraire.
Il aurait pu, me direz-vous, étudier les sciences dentaires, ses parents disposant de moyens suffisants pour financer son cursus, mais ses facultés intellectuelles, jugées trop étriquées, ne l’auraient pas beaucoup aidé et il est peu vraisemblable qu’il ait été en mesure de mener avec fruit cet exigeant apprentissage. Il aurait également pu nourrir sa curiosité en se penchant sur l’extraction solide liquide ou encore liquide liquide mais les préceptes chimiques lui semblaient fort complexes à comprendre
De manière plus prosaïque, il aurait encore pu s’orienter vers l’extraction de gaz ou encore de pétrole mais, à sa connaissance, le sous-sol carolorégien n’en contenait pas ou alors ses réserves étaient restées confidentielles. S’il avait voulu extraire de l’or noir ou encore du butane, il aurait été contraint de s’exiler. Mais non seulement Jean Claude ne parlait ni l’anglais ni aucune autre langue que son idiome natal mais il venait aussi et surtout de rencontrer Christiane, réputée fort casanière, qui aurait vu d’un mauvais œil les destinations lointaines et inconnues associées aux champs pétrolifères et gaziers que Jean Claude lui aurait indiquées sur son vieil atlas jauni datant de sa troisième primaire.
Jean Claude est simple et pragmatique très attaché à sa terre natale. Raison pour laquelle il coupe court à ses investigations et prend la résolution de se concentrer sur la houille, encore très abondante dans le pays.
Jean Claude Boursin est issu d’un milieu très aisé mais fort peu familier avec l’érudition. Tarcel, son père, est négociant en vins et spiritueux. Il est ce qu’on peut appeler un bon vivant ; jovial de nature, il aime rire, s’amuser et affectionne tout ce qui se boit en règle générale.
Il s’est lancé dans les affaires après avoir fait la rencontre de Marijke, qui deviendra son épouse. Elle est issue, de son côté, d’une lignée de puissants propriétaires terriens, très fortunés mais tout à fait demeurés.
Tarcel est né dans le sud de la Belgique d’un père artisan. Amédée Boursin est tailleur d’ardoises, comme l’était son père et son grand père. A la différence de ses ancêtres qui fondent l’activité familiale et la font fructifier depuis deux générations, Amédée freine l’expansion de l’affaire héritée de son père et réduit à néant le sacrifice de ses aïeux.
Amédée est passionné par l’ardoiserie mais ensorcelé par la tradition et son obsession va le conduire, lui et sa famille, à la ruine. Quand il reprend les rênes de l’atelier, il le démantèle et licencie un des deux ouvriers, déjà au service de son père. Il s’oppose à la mécanisation du métier et revend une partie de l’outillage pour retailler l’ardoise à l’ancienne comme le faisait autrefois son arrière-grand-père. Le produit fini qui sort de l’atelier ne rencontre que rarement le standard de qualité exigé par le nouveau patron. Les commandes ne sont plus honorées et les clients se tournent vers d’autres fournisseurs. Personne ne suit Amédée dans ses délires et les premiers problèmes financiers surgissent. L’affaire n’est plus rentable et dix-huit mois après qu’Amédée soit monté à la barre, c’est la banqueroute. Il est ruiné et tout le patrimoine familial que constituent l’atelier et les quelques maisons dont il a hérité de son père passe à la trappe. Mariette, son épouse, succombe quelques mois plus tard à une infection pulmonaire. Les Boursin n’ont plus les moyens ni de payer le médecin ni de l’hospitaliser. Quelques jours après l’enterrement de sa mère, Tarcel quitte son Ardenne natale et débarque dans le pays noir. Il travaille comme chauffeur livreur chez un importateur de spiritueux. A la différence de son père, il est ambitieux et pragmatique et lance trois ans plus tard les établissements Boursin.
La famille de Marijke est un cartel de propriétaires terriens à moitié analphabètes, sauf quelques rares exceptions. Berdoef, le grand père de Marijke, considéré comme l’intello de la famille est le seul à avoir décroché son certificat de sixième primaire. Le brevet du vieux mandarin, encadré, fait la fierté de la famille et trône sur la cheminée, entouré de quelques objets laids, rares et de mauvais goût supposés donner le ton de la puissance matérielle de la lignée.
Les Indeke sont de lugubres commerçants qui ont, en l’espace d’une génération, fait exploser le patrimoine familial. En quelques années, ils accumulent hectares de terres et exploitations agricoles de la région, surtout entre 1939 et 1945, période que les Indeke considèrent comme les années d’or. Leur courtoise collaboration avec l’occupant ouvre toutes les portes et leur permet d’arracher à vil prix terrains, têtes de bétail et exploitations. Les paysans de la région perdent leurs biens et se retrouvent à la merci des Indeke dont la philanthropie n’est pas la vertu qui les caractérise le mieux. Jozzef, le père de Marijke, est aujourd’hui à la tête d’un véritable empire agricole.
Jozzef a pour réputation d’être impitoyable en affaires et Tarcel l’apprend à ses dépens, car lorsqu’il pousse la porte de la grosse ferme familiale pour lui demander la main de sa fille Marijke, ce dernier lui met un contrat de vente sous les yeux. Le mandat de cession de sa fille est une forme revisitée du pacte de Varsovie qui engage à assurer à Marijke un standing et niveau de vie plus que respectable.
Le candidat doit honorer toutes les clauses de l’accord s’il veut épouser Marijke. Et si l’une d’entre elles n’est pas remplie, sa fille sera remise sur le marché dans l’attente d’un autre financement et le pauvre Tarcel perdra ses arrhes.
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Mes parents : Marie Christine et Philippe.
Que puis-je dire à propos de Marie Christine ? Marie Christine, ma Maman.
J’ai envie de la décrire. Physiquement, je lui ressemble : nous avons le même regard et les mêmes mains.
Marie Christine est la plus jolie des filles Duvivier. Lorsqu’elle est jeune, elle ressemble, paraît-il à Jackie Kennedy. J’ai tendance à le croire.
Lors d’un repas récent entre cousins, une de mes cousines dit à maman qu’elle n’a plus vue depuis 30 ans « Le souvenir que j’ai de toi est que tu étais la plus belle femme du monde »
Marie Christine assume seule l’éducation de ses enfants. Philippe est un père totalement démissionnaire. Même la très symbolique pension alimentaire est toujours versée avec beaucoup de retard pour au final ne plus être honorée. Papa ne procède à aucun suivi scolaire, médical ou autre.
Malgré ses mariages difficiles, Marie Christine assume en nouant le plus souvent très difficilement les deux bouts.
Avec nous, elle est bienveillante tout en restant exigeante voire assez autoritaire. Notre réussite scolaire est essentielle à ses yeux. Je me souviens de mes premières années d’humanités. Mon frère est en pension. Elle me fait des fiches de lecture et rédige le premier jet de mes dissertations pour m’aiguiller. Elle est présente et toujours disposée à me consacrer du temps.
J’en ai d’ailleurs vraisemblablement abusé. Je ne pense pas avoir lu tous les livres imposés par mes professeurs de français. Les trames des dissertations qu’elle me fournit, je ne les complète que très rarement. Elle s’en rend parfois compte et me somme alors de m’y mettre sous peine de ne jamais pouvoir rédiger seul.
Maman marque tout mon entourage pendant mon adolescence et ce, jusqu’à la fin de mes études.
Je me souviens de la délibération et proclamation des résultats qui boucle mon premier cycle d’études supérieures. Maman me demande le weekend précédant l’horaire et le lieu. Je lui réponds de manière détachée, n’étant pas sûr d’y assister. Les examens sont terminés et je suis en roue libre. Elle travaille comme déléguée médicale et parcourt chaque jour de nombreux kilomètres. Peut-être a-t-elle des rendez-vous professionnels ce jour-là. Mais elle est à l’heure et assiste à la cérémonie. Elle est ponctuelle au rendez-vous et assiste à la proclamation de ma grande distinction et je lis dans ses yeux ce jour-là une immense fierté. Après la délibération, j’ai le projet de retourner à mon kot et de faire la fête. Elle m’invite à rentrer à la maison et à célébrer ma réussite au restaurant en sa compagnie. Il m’est difficile de décliner son invitation. Avant de nous rendre au restaurant, elle fait un petit crochet par la maison.
Mes grands-parents et ma tante sont au courant avant que nous n’allions diner en tête à tête.
Alors que j’ai déjà un peu tourné la page étudiante, Maman revient sur mes résultats. Elle est fière, émue et souriante.
Je suis loin de m’imaginer qu’elle doit probablement avoir en tête sa période de Louvain et qu’elle a dû être soulagée et fière d’annoncer à ses parents la réussite de son fils.
Philippe est le parfait opposé de Marie Christine.
Elle est le Ying, il est le Yang.
Philippe cherche à se faire aimer. Son côté charmeur et beau parleur émouvra d’ailleurs mes petites copines lorsque je suis adolescent. Charmer sera le mot d’ordre de sa vie.
Quand Marie Christine évoque leur rencontre et leur mariage, elle parle d’un dandy qui attachait beaucoup d’importance à l’élégance. Il ne s’habille que chez des couturiers de renom, ne met que des chaussures de qualité et ne fréquente que des restaurants tenant le haut du pavé.
Un homme précieux et exigeant. Telle est la plus importante facette de la personnalité de mon père.
Ma compagne ne l’a pas connu. Nous avons pas mal de choses en commun, me rappelle-t-elle régulièrement.

J’ai le souvenir d’un homme constamment imbibé et méprisant. J’ai toujours pensé qu’il dissimulait derrière son humour british un mépris des autres. Ses traits d’esprit se faisaient toujours au détriment d’autrui.
Il ne se soucia pas de ce que nous faisions même s’il se disait très fier de ses deux enfants. Je me souviens d’une scène lors d’une de nos dernières rencontres.
Nous sommes dans un café proche de chez ses parents. Je viens de terminer quatre ans d’études supérieures durant lesquelles il ne se manifeste qu’à de rares occasions. Il apprend ma réussite la veille et m’en félicite. Il me propose de venir le chercher chez mes grands-parents pour un dîner en ville. Lorsque j’arrive, il n’est pas au rendez-vous. Je le cherche dans la maison de mes grand parents, les interroge mais ne le trouve pas. Je le retrouve au café du coin. Papa n’a pu attendre et a anticipé les festivités avec les soulards du coin ; il a raconté une fable de son invention.
Il est fier de son fils diplômé. Ces études, il prétend les avoir monitorées et financées. C’est sa réussite à l’entendre. Je ne suis pas étonné et m’amuse à rentrer dans son jeu. Je partage quelques bières avec lui et l’écoute pérorer. Ses amis sont quelque peu étonnés. Ils ne m’ont plus vu depuis des années et Papa n’a pas dû leur parler régulièrement de moi.
Je rentre alors dans son jeu. Je lui pose la question qui fait mouche.
« Papa, il est maintenant temps pour moi de te remercier pour tout ce que tu as fait pour moi ces dernières années. Sans toi, je n’y serais pas arrivé .Au fait, pourrais-tu me dire ce que j’ai entrepris comme études ? Combien de temps et dans quelle institution ? »
Il est scotché et blêmit. Il balbutie. Il pense que j’ai étudié les langues étrangères à Mons.
Je l’interroge, dans la foulée, sur les raisons pour lesquelles il ne versa pas un centime de pension alimentaire durant ces quatre années.
Selon lui, l’obligation de pension alimentaire s’éteignait avec les études supérieures. Depuis mon entrée aux études, il ne s’est plus senti obligé de contribuer à mon entretien.
En l’espace de 4 ans, il me remettra deux ou trois fois un chèque représentant la pension alimentaire. Il me fera remarquer, grand seigneur qu’il m’octroye aussi la part destinée à mon frère. Ces quelques chèques étaient, par ailleurs, en bois.
Avant de quitter le café, je le remercie, devant les piliers de comptoir de l’assemblée, pour sa générosité, sa bienveillance et pour l’équivalent de deux mois de pension alimentaire perçus en l’espace de 4 ans. Je lui confirme, dans la foulée, lui devoir en partie ma réussite.
Durant ces quatre années, j’ai, en effet, appris à ne pas dépendre de lui de quelque manière que ce soit. Et ce fut un fameux moteur de motivation. J’ajoute avec l’ironie
blessante qu’il affectionne tant : « la réussite fut assez facile, Papa. Tu avais mis la barre tellement bas qu’il me fut aisé de faire mieux »
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Dix-huit mois après avoir fui Philippe, Marie Christine délaisse ses parents chez lesquels elle s’est réfugiée pour vivre avec Alain.
Les premiers contacts entre Alain et ses géniteurs sont délicats. D’emblée, Marguerite prend de la distance. Elle ne l’aime pas et le fait bien comprendre, tant au principal intéressé qu’à sa fille. Marie Christine vit avec lui depuis un an lorsque Thérèse, sa plus jeune sœur se marie. Alain n’est ni le bienvenu ni invité à la cérémonie. Marguerite, dogmatique, ne tolère aucune tractation. Marie Christine assiste au mariage de sa sœur et c’est Jacques D, l’assistant de la pharmacie familiale qui lui sert de cavalier.
Elle décide de vivre avec son nouvel amant et le rejoint dans une petite maison à la campagne, à plus de cinquante kilomètres de Charleroi.
Elle passe dans un premiers temps quelques weekends à Gottignies. Parfois nous l’accompagnons, parfois elle s’y rend seule. Nous emménageons par la suite à Gottignies qui devient notre nouveau cadre de vie. Maman a obtenu du juge d’avoir la garde principale de mon frère et moi.
Je délaisse ma petite école maternelle située à quelques centaines de mètres de chez mes grands-parents pour rentrer en première primaire à Mons, à vingt kilomètres de notre nouveau foyer. Ma classe maternelle était douce et familiale alors que mon nouvel établissement scolaire est grand, froid et austère. La rigidité, l’autorité et la discipline en sont la clé de voûte.
Mon frère s’y retrouve aussi, contraint d’abandonner l’école primaire qu’il affectionne pour rejoindre Mons. Il n’y fait qu’un bref séjour ; il contracte une hépatite et est mis en congé scolaire imposé pour quelques mois.
Il passe sa convalescence chez Marguerite et Henri et je me retrouve seul. Je suis délaissé mais surtout perdu dans cette école que je viens vite à détester. Mon frangin se rétablit plus vite que prévu mais ne peut regagner les cours. Il réussit son année mais est invité à ne rejoindre l’école qu’à la rentrée suivante.
Au printemps 1975, Marguerite projette une incursion à Lourdes avec ma tante invalide. Comme mon frère termine sa guérison chez elle, Marie Christine propose que son fils fasse partie du voyage. L’expédition à Lourdes est un nouvel épisode douloureux dans la relation entre Marie Christine et Henri, qui continue à gérer la trésorerie de sa fille bien que celle-ci ne vive plus chez lui. Elle sait son solde créditeur et demande alors à Henri de financer l’excursion de son fils. Le retour de ce dernier sera l’occasion de faire le décompte et pour elle de reprendre ses finances en mains. Henri solde les comptes à sa manière et remet les compteurs à zéro, en estimant que le solde restant lui est dû. C’est selon lui une forme de bonus qui lui revient en compensation du séjour que sa fille a passé chez eux.

Maman a la gorge qui se noue lorsqu’elle ravive Gottignies. Elle bredouille.
« Je n’aime pas beaucoup parler de cette période-là de ma vie »
« C’est surtout par rapport à vous ...car ai l’impression que je vous ai fait beaucoup de tort alors que ce n’était pas du tout mon intention »...
Je lui pose alors la question qui me brûle les lèvres.
« Quand a débuté ta relation avec lui ? Comment ça s’est passé ? »
Au lieu d’évoquer le timing de sa relation, je suis tenté de lui demander ….
Mais enfin, pourquoi ? Pourquoi lui ?
« Mais avant de me mettre en ménage..je vous l’ai présenté ..il vous a présenté ses enfants »
Sa réponse me déroute mais je ne relève pas. J’ai à peine cinq ans lorsque nous emménageons à Gottignies et je n’ai pas vraiment le souvenir qu’elle nous ait demandé de lui donner notre consentement.
Maman ne répond pas à ma question. Elle commence à ma décrire la petite maison à la campagne avec une forme de nostalgie. Elle me dépeint une vie heureuse, une version revisitée de la petite maison dans la prairie. Tout le monde y est heureux en dépit de quelques ombres au tableau qu’elle situe au début des années quatre-vingt.
Je la laisse parler et ne l’interromps pas. Je garde mon calme et lui fais simplement remarquer que mes souvenirs ne coïncident pas du tout avec son allégorie. Je n’associe pas Gottignies à la maison de la béatitude et que j’ai quelques aléas bien précis en tête que je situe à 1975, soit quelques mois seulement après notre arrivée. Ces réminiscences sont les premières punitions, ensuite les premières insultes à nouveau suivies des premières violences. Elle rebondit à nouveau sur le début des années quatre-vingt … et je ne peux m’empêcher de l’interrompre.
“Maman, en 1982 j’ai 13 ans et nous quittons Gottignies lorsque je suis en 2ème humanité, soit à 14 ans ....”
Je commence à décrire un avatar bien précis et lorsque je lui relate la scène, elle me sourit. Ses yeux sont gorgés de larmes.
« Tu as raison. Ca a vraiment commencé lorsque je me suis lancée dans la délégation médicale ; je suis rentrée chez Sanders en 1978 »
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C’est la première fois qu’elle reçoit des coups de la part de l’homme avec lequel elle vit depuis à peine deux ans. Cette scène de violence n’est pas un incident isolé mais l’inauguration d’un acte qui deviendra rituel et fera partie de la routine quotidienne.
Maman me donne alors la raison « officielle » du coup de sang de son mari et embraye ensuite sur les circonstances atténuantes. La rage d’Alain est liée à sa famille : ses parents sont de retour dans le Nord de la France et la situation est un peu tendue avec sa fille Isabelle. Une relation délicate avec sa fille et le déménagement de ses parents sont les raisons de sa première raclée.
Elle continue à dérouler les circonstances atténuantes. Elle précise « sous l’emprise de l’alcool » lorsqu’Alain la bat. Ce n’est en réalité pas Alain qui la frappe mais Alain sous l’emprise de l’alcool. Ce n’est pas le même personnage mais son double qui la cogne car son gentil mari n’est pas qu’un homme délicat et tellement attentionné, il est aussi sobre comme un chameau. On retient de lui celui qui n’a jamais rien bu d’autre que du café et du Coca Cola. Donc, quand Alain est imbibé, ce n’est pas Alain. C’est un autre homme mais pas lui.
Elle continue son récit. Elle reçoit donc une raclée de l’homme qu’elle aime et son petit écart de conduite est celui d’un être temporairement perturbé par ses histoires familiales et sous l’emprise de l’alcool.
Pour Marie Christine, ce petit écart n’est qu’une mauvaise passe et n’est que transitoire. Elle est convaincue que son second mari est tellement différent des autres et que tout va rapidement rentrer dans l’ordre.
Alain va pourtant rapidement délaisser ses boisons favorites, à savoir le café et le Coca Cola, au profit de sorties arrosées qui deviennent routinières. Il semble moins attentionné et peu délicat lorsqu’il rentre le soir imbibé par l’alcool. Et les scènes de violences se chronicisent mais elle reste malgré tout persuadée que ce n’est qu’un mauvais moment à passer.
Quand Alain débarque dans la famille de Marie Christine, c’est la surprise. Le décalage entre son milieu d’origine et celui de sa nouvelle femme fait grincer des dents. Alain, le principal intéressé, est le seul à ne pas s’en rendre compte mais ne manque pas de courage pour combler le fossé entre ces deux mondes. Il se retrousse les manches et commence à nous raconter sa glorieuse biographie. Ses archives sont là pour entériner sa légitimité et il va y aller fort, n’hésitant pas à laisser parfois son pouce sur la balance.
Le bien fondé de mon beau père, c’est le Savoir et la Science. Il sait tout sur tout et va abreuver de son savoir universel la famille de sa femme qui va se délecter et s’amuser de sa bêtise.
Alain se tourne ensuite vers un autre public qu’il déniche dans une petite auberge, proche de notre foyer. C’est dans cette petite taverne qui ressemble à un buffet de gare qu’il se découvre de nouveaux amis. Il y étale son érudition et sa science en couches épaisses et ses nouveaux disciples apprécient et en redemandent vu la régularité de ses sorties. Les retours de soirées sont peu poétiques mais assez pathétiques. Ses rentrées au bercail sont légendaires et sa femme va rapidement s’en lasser.
Quand il rentre de beuverie, Alain poursuit son show à domicile. Il revient généralement en fin de soirée mais rejoint la maison comme si nous étions au milieu de l’après-midi. Comme s’il était rentré plus tôt que d’habitude. Il tient à peine droit et se fait couler un petit café pour se dégriser et détendre l’atmosphère. Il commence alors à nous raconter sa journée, parsemée de trous qu’il comble avec des histoires rocambolesques et se contredit toutes les deux minutes pour répéter les mêmes âneries en boucle.
Alain aime que ses spectateurs soient captifs et circonspects. Quand il perd l’attention de son auditoire, il change de tonalité et justifie sa rentrée tardive par le fait qu’il a d’étonnantes révélations à nous faire. Il nous livre alors le fruit de ses investigations qui concernent soit mon père qu’il connaît à peine soit mes grands-parents ou encore un autre membre de la famille de sa femme. Ses révélations se situent le plus souvent en dessous de la ceinture et sont assez binaires. Il s’agit le plus souvent de Y qui est une salope ou de X qui est un cocu.
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Et si Marijke est en constante osmose avec son fils, elle s’avère mais être une mère froide et distante lorsqu’il s’agit de ses filles. Les seuls contacts qu’elle entretient avec elles se produisent lors de préparatifs de fêtes mondaines qu’elle organise chez elle. Elle travestit et maquille ses progénitures qu’elle accompagne en soirée comme une maraichère qui vend sa volaille.
Elle épie ses filles et fait le tri parmi les courtisans en se démenant pour attirer dans ses filets les héritiers de familles d’industriels ou de riches notables qui feront de ses filles les moyeux de sa propre ascension sociale. Elle tient hors de portée les petits commerçants, intellectuels rêveurs ou toute autre nature de soupirants dénués d’intérêt et d’avenir. Selon ses propres dires, il n’y a pas de mariage d’amour mais cet amour peut parfois faire d’excellents compromis. Et si l’amour n’existe pas, il y a quand même de belles histoires à écrire et de belles unions possibles avec des dynasties puissantes dont il incombe aux petites Boursin d’assurer la féconde pérennité. En ce qui concerne la destinée de son fils, Marijke n’est pas une mère dépourvue d’ambition. Elle nourrit en secret le fantasme d’une princesse fortunée qui s’amouracherait de son fils. A défaut d’Altesse, elle pourrait se satisfaire de la fille d’un puissant industriel, à condition qu’elle soit fille unique. Et tant pis si la prétendante est laide, peu éveillée ou a un cœur de pierre. La vie est faite d’accommodements raisonnables et Marijke et sa future belle fille pourront toujours parfaitement s’entendre.
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Fabuleux : adjectif
- Littéraire : qui appartient aux légendes anciennes, à la mythologie, mythique
Les animaux fabuleux d’Esope
- Familier : qui est exceptionnel par ses qualités
Un type fabuleux
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