Trois choses lui viennent précisément à l’esprit.
D’abord, le taxi ne reviendra pas.
Il suppose ensuite que ces gens ne connaissent pas la ville, mais alors que les femmes affichent un air apeuré, le jeune homme regarde autour de lui avec intérêt.
Troisième chose : grâce à ses superbes jumelles, Aziz constate que ce jeune homme, ce garçon, est d’une beauté saisissante.
Une femme assez âgée semble avoir eu du mal à s’extraire du véhicule. Elle était devant, à côté du chauffeur moustachu. À présent, elle étire son vieux corps et un profond soupir, un bâillement peut-être, lui fait lever les bras au ciel, visiblement pas plus haut que le lampadaire qui éclaire la scène.
Deux fillettes, dix et douze ans, tentent quelques pas timides sur la chaussée, rapidement rappelées à l’ordre, semble-t-il, par la vieille ou le chauffeur. Avec vivacité, elles contournent la bagnole et viennent se réfugier sous l’abri bus. Un jeune type, enfin l’âge d’Aziz à peu près, a ouvert la portière côté trottoir et sort.
Aziz règle la netteté. La scène lui saute au visage. Toute une famille,
semble-t-il. Pas français. Même le chauffeur. C’est le premier à sortir de la
bagnole. Un type trapu, costume sombre. De son poste d’observation, le garçon
a du mal à donner une couleur au costume : marron foncé, bleu nuit ou noir.
Pour le reste : cheveux courts ; malgré la peau brune, on distingue
parfaitement une moustache fournie.
La ZUP de l'Aurence étalait sa grisaille. Le soleil du début de l'aprèm avait fait place à la pluie. La température avait baissé de plusieurs degrés et les nuages étaient de plomb.
Lorsque les deux flic arrivèrent au carrefour, un attroupement leur indiqua le lieu exact de la découverte du corps. C'était au pied d'une des tours des Étoiles. La sud, celle qui surplombait le carrefour, justement.
Le chauffeur dit quelque chose, puis va à l’arrière de la bagnole et ouvre le
coffre. Il sort deux valises, une dans chaque main, et apostrophe le jeune
homme. Celui-ci prend les valises et les pose près du banc de l’abri. Puis il
fait la même chose avec les deux ou trois paquets que lui tend l’autre.
La famille (Aziz croit pouvoir dire que c’est une famille, mais où est le père ?) reste plantée sous l’abri en regardant disparaître ce qui semble être un taxi.
Il n’est pas idiot, tout ce petit monde est un peu en détresse, semble-t-il.
Aziz Benhemria voit maintenant le chauffeur qui parle à tout le groupe
rassemblé sous l’abri bus, sort une plaisanterie accueillie par des sourires
crispés, remonte dans la vieille Mercedes et part au feu vert.