Cela fait dix ans que le premier ministre indien, Narendra Modi, fils de presseurs d'huile, est à la tête de la cinquième économie mondiale et du pays désormais le plus peuplé du monde. Mais que sait-on de sa pratique du pouvoir, de sa paranoïa caractérisée, de sa phobie de la presse, des racines de l'idéologie qu'il porte, de son culte de la personnalité, des moteurs de sa popularité, des rouages de la machine politique de son parti... ? Au printemps 2024, il brigue un troisième mandat.
*Dans la tête de Narendra Modi** de Guillaume Delacroix et Sophie Landrin : https://www.actes-sud.fr/catalogue/sciences-humaines-et-sociales-sciences/dans-la-tete-de-narendra-modi
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L’Inde n’enferme pas les musulmans dans des camps comme les Ouïgours en Chine, mais le traitement des minorités musulmanes et chrétiennes, plus de 235 millions de personnes, évoque de plus en plus un apartheid rampant. Le poison de la haine s’est diffusé dans tout le corps du pays.
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Son effigie est partout, dans les rues de Delhi et des métropoles, les aéroports, les gares et les stations-services, sur les palissades des chantiers, les passeports Covid et même les paquets des rations alimentaires distribuées aux pauvres. L’Inde est écrasée par le culte de la personnalité en vigueur autour de Narendra Modi, présenté tour à tour en superhéros, en messie hindou, en gardien de la nation ou en sauveur.
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Le sous-continent indien vu comme un tout homogène est le fil rouge de la pensée nationaliste hindoue. Il rappelle la doctrine de l’irrédentisme, cette idée du rattachement prétendument légitime à un État de certains territoires en ayant fait partie dans le passé, ou dont la population est considérée par les nationalistes comme historiquement, ethniquement ou linguistiquement apparentée.
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La journaliste (Sujata Anandan) souligne au passage l’ironie de l’étymologie du mot « hindou », qui trouve ses racines en Perse, un empire musulman. Il vient de sindhu qui n’est rien d’autre que le terme sanskrit désignant le fleuve Indus.
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Au total, la destruction de la mosquée de Babur fera deux mille victimes et des milliers de blessés. Le rêve d’une nation laïque voulue par Nehru s’effondrera, en même temps que triomphera le nationalisme suprémaciste hindou. Le parti de Narendra Modi, le BJP, en tirera rapidement les dividendes électoraux.
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C’est le trait majeur de Modi : les deux cents millions d’Indiens musulmans ne sont plus représentés dans les institutions. Le nombre d’élus musulmans dans les États et à la Chambre des députés, la Lok Sabha, est le plus faible que l’on ait jamais connu depuis 1947.
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Dans certains domaines, comme l’aéronautique, la téléphonie, le pétrole et quantité de biens intermédiaires nécessaires à la fabrication de produits finis, l’Inde offre il est vrai un débouché colossal. Rien que dans la défense, elle achète à l’étranger pour 70 milliards d’euros par an d’armements, ce qui fait d’elle le premier importateur au monde.
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Les castes, indissociables de l’hindouisme, continuent donc de structurer et de fracturer la société indienne, imposant hiérarchie, inégalités et endogamie, surtout en milieu rural où vivent près des deux tiers de la population. On naît dans une caste, on se marie en son sein, on en respecte les lois.
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Aussi la réussite de Modi repose-t-elle à la fois sur sa capacité personnelle à agir, et sur l’imprégnation des esprits par l’idéologie d’un État hindou redistributeur. Il n’est pas un homme politique au sens politicien du terme.
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Porté par des moyens financiers colossaux, Narendra Modi gagne haut la main les élections législatives de 2014. Il a fait campagne non pas sur les questions au cœur de l’agenda de l’hindutva, mais sur les enjeux de développement, de lutte contre la corruption et de bonne gouvernance.
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