Stéphanie Béal

Le noir représente une zone de confort. Certains régurgitent quelques restes de bestioles pas encore digérées, d’autres espèrent s’assoupir pour ne pas penser. Ils ne savent pas comment tuer le temps, d’ailleurs ils n’ont même pas la notion du jeu ou du divertissement. Généralement, ils dorment ou ils essaient d’attraper des insectes qui proviennent de sous la porte. Il arrive parfois qu’ils se battent entre eux lorsqu’un enfant prend la place d’un autre. Certains veulent s’affirmer, mais dans l’ensemble c’est le plus âgé qui finit par avoir le dernier mot.

Vanessa est réveillée par un puissant coup de tonnerre, même si elle ne dormait pas profondément. Son instinct l’incite à rester sur le qui-vive. Elle place ses bras sous sa tête et en profite pour réfléchir. Il ne faut pas qu’elle oublie qu’il y a une raison pour laquelle elle est ici. Son cerveau est rempli de mauvais souvenirs, mais une personne, pourtant toxique, lui manque terriblement. Ça lui arrive souvent de faire le point la nuit lorsque tout est silencieux et qu’elle est certaine que rien ne pourra interrompre sa réflexion.

Son pouvoir de séduction ravageait tout sur son passage et elle se plaisait souvent à en jouer. Ce n’est pas forcément dans son tempérament, mais pour le moment elle n’envisage pas autre chose que des relations éphémères.L’aube est le moment qu’elle préfère, le monde s’apprêtant à s’éveiller. C’est le début de l’automne et à cette heure-là, le soleil commence à peine à caresser les toitures de la butte Montmartre, mettant en lumière le sommet du Sacré-Cœur. Même si la capitale ne dort jamais vraiment complètement, le calme règne.

Telle une foreuse, le tourment de ses pensées s’enfonce lentement jusqu’au centre de sa matière grise. Une intense migraine lui donne maintenant des vertiges. Tandis que Neal part se coucher, Erin se dirige vers la cuisine devant Alfonsus pour demander à Gwladys de lui apporter des somnifères dans sa chambre. Vanessa, cachée non loin de là, tend l’oreille depuis le hall. Lorsqu’elle voit Erin, épuisée et flageolante, commencer à monter les escaliers le bras accroché à celui d’Alfonsus, Vanessa en profite pour solliciter Gwladys.

Elle ne pouvait plus faire semblant de dormir, les lumières de la chambre colorent une partie de la moquette du couloir épargnée par les quelques appliques murales. Soudain, tout près de ses baskets, un bruissement. Elle a un mouvement de recul en regardant le sol, avant de s’apercevoir qu’un bout de papier dépasse sous la porte. Elle le saisit rapidement, le déplie et alors que Thomas se rapproche d’elle pour le lire, elle s’empresse d’ouvrir la porte, tourne la tête à droite puis à gauche. Aucune présence.

Lui qui aime habituellement se servir de sa fausse assurance pour captiver le regard des femmes désirant simplement passer une nuit endiablée. Mais cette fois, en compagnie de Vanessa, il se sent complexé pour la première fois. Il remarque des disproportions physiques, souvent amplifiées, qu’il ne voyait pas autrefois. Cette sensation ne l’empêche pas d’apprécier la présence de cette jeune femme mystérieuse et il a hâte de devenir son coéquipier, sans savoir encore à qui il a affaire.

Elle se repasse plusieurs images de Thomas en train de dessiner tout ce qu’il voyait. Elle sait qu’il aime ça et qu’après tout, elle a été obligée de croire en son histoire de dispute sans l’avoir elle-même entendue. Pourtant, elle préfère balayer ces pensées de sa tête, son intuition l’incite à lui faire confiance. Ils forment un bon tandem. Elle se contentera de rester sur ses gardes. Pour elle, tous les résidents du manoir sont encore suspects. Mais suspects de quoi ?

Elle aime mettre ses yeux bleu saphir en avant en les soulignant d’un trait d’eye-liner noir. Sa peau est claire, un tatouage discret orne son avant-bras gauche. Même s’il n’est pas tout à fait représenté comme on a l’habitude de le voir, il ressemble à un œil d’Horus. Elle seule connaît la raison pour laquelle elle l’a choisi.Les hommes sont nombreux à se laisser séduire par une si belle femme, mais son excès de confiance en elle finit trop souvent par les repousser.

Chaque bruit devient signifiant. L’orage inquiète déjà Valérie, mais elle ne dit rien. Joe lui sourit dans l’espoir de la rassurer même si personne ne peut savoir quel temps il fera les jours prochains. Vanessa, de son côté, constate un brusque changement d’apparence chez Benjamin. Le regard hagard, les sourcils froncés, il ne joue plus. Elle n’a jamais vu un enfant de douze ans aussi préoccupé. Il semble avoir pris dix ans de maturité en une fraction de seconde.

Ils ont l’impression d’être nés dans la pénombre et ne se verraient plus grandir autrement que dans la souffrance. Pendant que les souriceaux grouillent dans tous les recoins de la pièce et que certains se chamaillent pour la seule cachette se trouvant sous le placard, les enfants les plus âgés tentent de les attraper. À quatre pattes, ils se traînent sur le sol poreux et humide, les genoux sanguinolents. Nus comme des vers, ils ne portent aucun vêtement.