AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Charybde2


Dès lors, c’est le statu quo à bord du vieux cargo mâté. Avec le crépuscule qui rabougrit le gamin sous sa parka en pur cuir de morse, corseté dans les lambeaux du boléro. Avec le Ghost qui dandine pire qu’une épave livrée au bon vouloir des flots. Avec mes faitouts qui farnientent et surtout mon feu qui faiblit, faute de l’affourager comme il faut. On laisse échoir sans pousser, après tout les choses vont comme elles veulent.
Après l’esclandre et la bousculade qui nous ont conduits vers la pointe du cargo, le cadran paraît figé pour de bon. Elle est cannée Câline, okay. Et après, on fait quoi ? On s’observe sous cape, la pupille posée sur l’œilleton ou plantée dans les cernes en coussins de bourre que les cils époussettent. On jurerait qu’on va bondir alors qu’on reste parfaitement immobiles et la brise soulève les haillons pour exhiber nos membres blafards, les râteliers de nos râbles, mamelles amollies, ombilics noirs comme des culs, tattoos fanés et cicatrices ourlées au crin épais – et je vous passe les ecchymoses sur nos galuchats de maquereaux.
Faut faire avec puisque la mer nous cuivre, puisqu’elle boucane nos guenilles au compte-gouttes et puisque la fleur de poisse s’épanouit tandis qu’on pourrit de la tige, nous autres, dans notre vase trop rempli.
La Loi Nouvelle permet à quiconque d’être nu, mais on couvre nos carnes pour ralentir les pronostics car nos bobos racontent les scories de nos vies mieux que les livres de bord.
On fait illusion sans trop y croire.
Toujours un flambard pour se vanter, toujours un fanfaron pour mythonner ses stigmates à la cantonade – regarde mon gars, le trou que tu reluques, c’est un coup de surin sur la dunette du ferry Musica. Vise un peu l’évent, pire qu’une dent de narval, j’peux encore glisser l’pouce dedans. D’la rouille et des glaires, c’est ça qui gerbait en geyser, une vraie fontaine de fèces…
On laisse dire, pardi, personne s’en lasse et si nos bobards devenaient des îles, on aurait toujours les pattes au sec. Les carottes et les salades, c’est guère mangeable mais ça feinte facilement la boyauterie vide.
Nos mensonges sont nos refuges.
Des baies paradisiaques.

Chauves ou chevelus, on se vaut tous peu ou prou, sans compter les teigneux qui se tailladent le crin pour effaroucher les minots dans l’obscurité des coursives. Seules les barbiches nous distinguent des femelles, dont les trognes sont tannées mêmement par le sel, la réverbération des interminables cycles de mer et les radiations des eaux sales qui voguent avec les algues invasives. On copie les planctons et les protistes, on resquille nos miettes entre les zones mortes et on mute ou on s’adapte comme on peut – on est plus vraiment à ça près.
La survivance, c’est juste un cache-cache perdant, le jeu idiot qui fait passer les plombes mieux que les dés ou les dominos.
Le cœur d’un homme est dans sa tête, bramait l’Empereur pour galvaniser les pétochards et coup-de-latter les tire-au-cul. On est rodés au mal de vivre, attendu que les eaux impures nous abreuvent de sinistres sillons et qu’on les dégorge par tous les pores. La chantepleure charrie des eaux tritiées au strontium, cobalt et iode, américium, césium ou carbone 14 – vous connaissez la partition des philharmonies leucémiques. Avec en bonus les déchets terrigènes qui écument sans vergogne le Pays-de-Mer. Et les coups, les carences et les privations nous refont le portrait pendant que le scorbut se charge des chicots, de la dentine, des gencives rongées à l’acide.
La pêcherie nous empoisonne à petit feu mais nous en déplaise, on chérit le petit plus de gras et de protéines. Sans le jus précieux des citrons qu’on récolte, ma parole, on serait tous clamsés depuis une paye. Sans agrumes, la gale guette, le typhus triomphe, la phtisie rapplique au taïaut, la dysenterie déshydrate, les fièvres nous infectent et les maladies putrides prolifèrent.
On a les tronches qu’on mérite.
On regarde juste la mise avant de piocher les cartes.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}