AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Jenndrix


Certains jours j’allais prendre le train. Il faisait froid désormais et les salles d’attente des gares avaient ce côté cour des miracles qu’elles prennent l’hiver, havres d’air chaud où viennent se réfugier tous les congelés de la ville. Parmi les sans-toit qui étaient là, engourdis, somnolents, entourés de cabas Monoprix ou Leclerc, enveloppés de châles, de couvertures, amas de tissus eux-mêmes, boules de linge serrées contre d’autres boules de linge qui étaient leurs enfants, leurs affaires, leurs caddies, leurs chiens – au milieu de ceux-là je reconnaissais des silhouettes venues d’un autre monde, dormeurs-à-même-le-sol par choix, rouleurs-de-bosse par vocation, pareils à celui que j’avais été autrefois. Voyageurs fatigués mais en chemin, poussés par le besoin de se frotter à la vie, aux épreuves, au bitume. La plupart seuls, chevelus, hirsutes, sans le sou. Certains en couple. Presque tous joviaux malgré leur crasse. Aisément repérables à leur vitalité, au milieu des autres, les vrais immobiles, les sans-issue, les coincés-là, entre les murs de ces limbes. Plus encore que leurs cheveux longs et leurs habits sales, c’était leur rapport au sol qui me frappait. Leur habitude du contact avec le bitume et le carrelage. Leur affranchissement de toute gêne. Comme une rupture consommée avec l’exigence de station debout. Une délivrance des interdits habituellement incorporés à notre insu, ne pas s’affaler, ne pas se répandre, ne pas encombrer, toute une morale du quant-à-soi, du non-étalement, du corset. Morale du respect du voisin et des bornes, du découpage du sol en parcelles aux frontières bien délimitées. Eux indifférents à tout ça. Comme déverrouillés. Émancipés. Leur corps désentravé, devenu maître dans l’art d’occuper l’espace, de s’y nicher, de s’y lover. Je les regardais étalés au sol et je me rappelais brusquement ce que j’avais parfaitement su jadis : qu’être sur la route, c’était ça. Cet affalement. Ce lâcher-prise.
Commenter  J’apprécie          70





Ont apprécié cette citation (4)voir plus




{* *}