« Ne me quitte pas.
- Je ne te quitte pas, Chloé. Tu es ma meilleure amie, jamais je ne t’abandonnerai. Je pars juste quelques mois, pour mieux me retrouver, j’en ai besoin, comprends-moi. »
Chloé et Luna sont attablées à la crêperie Rocamadour, sur les quais de Camaret. Baradoz, le beau voilier de couleur orange vif, danse sur ses amarres. On sort d’un train de dépressions, la mer se calme, le ciel reprend son bleu azur. Le calendrier affiche déjà le samedi 1er décembre. Les deux amies s’embrassent tendrement. Chloé défait les aussières, repousse lentement le balcon avant du bateau, les yeux remplis de larmes. Et voilà. Luna s’en va faire le tour du monde.
La première nuit en mer n’est que pluie de doutes. « Suis-je capable de le faire ? Quels risques je prends ?» Elle repense à ce mois de folie, la mise en location de son appartement des Ternes, les préparatifs sur Baradoz, les vaccins, c’est sûr, elle n’a guère eu le temps de souffler. Une seule chose la motive, elle sait qu’elle a pris la bonne décision, ce départ redonne un sens à sa vie. Et puis, ça leur laissera le temps d’oublier toutes ces histoires, au boulot, et grâce aux loyers de la maison du Vésinet et du triplex, elle devrait bien réussir à s’en sortir. 1m78, 58 kg, ce n’est pas tant que ça à nourrir ! Elle en rit, cela fait si longtemps qu’elle n’avait pas entendu son propre rire qu’elle sursaute.
C’est sûr, avec toutes ses mésaventures, il y avait plus de raisons de pleurer que de rire, mais, en y réfléchissant bien, même avant cela elle ne riait pas tellement. Elle aurait pu, pourtant. D’accord, dans son boulot il fallait être stricte, à tel point qu’elle s’était mise à porter des lunettes, elle qui a de si jolis yeux de chat.
« Ça fait plus sérieux, » lui avait conseillé son boss, « et puis les cheveux, bien tirés, en chignon, ça impressionne », avait-il rajouté. Quel gougeat ! Luna sait parfaitement que dans le travail, quel qu’il soit, chacun joue un rôle, chacun joue son propre rôle, mais personne n’est finalement naturel, oui, mais elle sait aussi que dans un grand cabinet d’avocats, c’est pire encore. Hypocrisie et faux-semblants. De grands sourires en face, des coups de poing dans le dos. Elle avait fini par s’y adapter, mais la belle avocate attendait autre chose de son travail au barreau, plus d’entraide, plus d’esprit de groupe. Luna est une ancienne handballeuse, elle jouait même en pré-national, alors pour elle, l’esprit d’équipe c’est sacré.