Istanbul est une ville de portes. Je ne sais pas si c'est parce que je suis venue à la recherche d'une en particulier, mais je ne me souviens d'aucun autre endroit qui m'ait autant frappée par ses portes. Chacune est minutieusement travaillée. Non seulement les portes des mosquées et des palais, mais aussi les portes ordinaires, celles des maisons, des petits établissements. En majorité, elles sont en bois. Presque toutes sont ornées, ouvragées, et il faut du temps pour les apprécier. A chaque coin de rue, je me retrouve devant une nouvelle porte qui m'attire pour des raisons différentes : taille de la serrure, complexité des motifs, couleur du bois, poids, odeur.
S'il l'avait voulu, il aurait pu conserver son nom, son origine. Il avait préféré en créer d'autres, donner un nouveau nom et une nouvelle origine à la vie qui l'attendait. Il sentait que, pour recommencer, il lui fallait une autre identité : s'il ne laissait pas derrière lui tout ce qui lui avait appartenu jusqu'alors, il resterait éternellement enchaîné au passé.
« Six mois s’étaient écoulés et le mal-être persistait. Le temps n’amenuisait pas la douleur, omniprésente au réveil, quand la lumière s’insinuait entre les persiennes et que le chant des oiseaux virevoltait dans la ramure des arbres. » (p. 63)
Je suis née en exil. Voilà pourquoi je suis comme je suis : sans patrie, sans nom. Voilà pourquoi je suis solide, âpre, brute. Je suis née loin de chez moi, loin de ma terre - mais enfin, qui suis-je? Où sont mes racines?
Je suis née en exil, au Portugal, d'où ma famille, de confession juive, avait été expulsée, il y a des siècles. Au Portugal qui accueillit mes parents ayant fui le Brésil, car communistes. Nous avons fait le tour, nous avons bouclé la boucle : du Portugal vers la Turquie, de la Turquie vers le Brésil, du Brésil de nouveau vers le Portugal. N'eût-t-il pas été moins pénible, moins amer, de ne pas être contraints de faire ce long parcours? Pourquoi avons-nous dû quitter un endroit pour finir par y revenir?
Mon grand-père m'avait raconté qu'il avait voyagé sur un navire immense, le premier et seul navire de sa vie. Le vaisseau était bondé de gens nourrissant tous le même espoir que lui : trouver une vie meilleure dans un pays différent.
Dans le patio, je vois beaucoup de familles, beaucoup d'enfants, des femmes portant soit un foulard sur la tête, soit un voile, et l'une d'elles entièrement couverte d'une burqa noire, ne laissant apparaître que les yeux. J'en avais déjà vu dans les journaux, à la télévision et dans les films. Mais la vision d'une femme réelle, cachant tout, son corps, son visage, ses cheveux, procure une sensation étrange, mélange d'éloignement, comme s'il y avait un profond abîme entre nous, et de complicité particulière aux femmes.