AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Charybde2


L’air frais lui piqua l’intérieur des narines et s’engouffra dans ses poumons tandis qu’il passait la première porte du sas. Le monde tournait doucement, le dernier shoot était visiblement celui de trop, celui qui tape alors que juste avant, on avait le cœur léger. De l’air, une taffe ou deux, c’est tout ce qu’il lui fallait.
La deuxième porte se referma et atténua un peu la musique qui résonnait dehors entre les multiples bâtiments d’acier de la zone industrielle.
Trop chaud, il avait eu beaucoup trop chaud. Il le savait, un tee-shirt aurait suffi, mais cette association veste/chemise faisait de lui un vrai tombeur ! Il n’aurait pas mis autre chose ce soir.
Il tira sur son col et fit quelques pas sur le parking le long de la boîte. De sa poche arrière, il sortit une cigarette chiffonnée et alla demander du feu à un couple adossé contre le mur de tôle. Alors qu’il leur rendait le briquet, la musique se fit plus forte.Trois filles sortaient à leur tour, leurs bras entremêlés et portées par les mêmes éclats de rire. Il tira une bouffée sur sa cigarette et les suivit discrètement du regard.
Déjà plus léger, il fit quelques pas sur la terre asséchée le long des voitures garées là. Les filles embarquaient tout près dans une berline blanche, toutes les trois à l’arrière. Il vit le chauffeur jeter un coup d’œil dans son rétroviseur puis il démarra et sortit du parking dès qu’elles eurent fermé la portière.
La troisième bouffée lui donna la nausée. Il leva la tête et inspira l’air qui sentait autant la nuit que les gaz d’échappement.
Il y avait peu de lumières dans la zone, on aurait pu voir les étoiles dans un ciel clair, si l’enseigne du club ne brillait pas autant. « Le Briskar ». Quel nom idiot, se dit-il. Parfait pour un restaurant à thème pirate pour des gosses, pas pour le seul endroit du coin ouvert toute la nuit !
Mais si l’on y pensait, il y avait bien quelques mecs qui traînaient là et qu’on aurait pu confondre avec des pirates, gueule de travers et toujours prêts à te taxer ton rhum, et sûrement que l’on pouvait attraper quelque chose qui ressemblerait au scorbut dans les toilettes. Et dans les tireuses à bière.
Sa nausée ne passait pas. Il se décida à sortir du parking pour s’éloigner du bruit sourd qui lui traversait le corps et percutait ses os. La rue, une ligne droite à travers entrepôts et immeubles de bureaux, n’était éclairée que par quelques faibles spots en ras de sol. Il allait marcher juste assez pour dégriser, quitte à poser une galette derrière un buisson, puis revenir un peu plus frais.
Est-ce que la grande brune au chignon serait encore là ? Quand il lui a dit qu’il sortait, il l’avait vue qui se dirigeait en dansant vers son groupe de copines. De toute évidence non, pas copines. Juste des collègues. Il y avait autant de vieilles que de jeunes. Les copines c’est toujours du même âge, non ? Et puis on est vendredi. Le vendredi, on sort entre collègues, les copines c’est le samedi, non ? « Merde ! Qu’est-ce que tu racontes mon vieux ? » Il finissait son monologue personnel, quand son corps tout entier tint à lui rappeler que les vodkas qui menaçaient de s’exfiltrer par le haut avaient été précédées d’une large pinte de bière qui, elle, souhaitait une évacuation plus traditionnelle.
Précautionneusement, il regarda derrière lui en direction du parking pour voir s’il était visible par les fumeurs adossés à la sortie. La lumière avait beau être faible, un type qui pisse au milieu d’un trottoir attire toujours l’attention. Il bifurqua vers la gauche, piétina un talus qui avait un jour dû proposer un massif fleuri, coupa à travers une petite pelouse fraîche de rosée (« Merde ! les chaussures en nubuck… »), traversa la vingtaine de mètres qui le séparait du parking éclairé d’un bâtiment en tous points semblable à celui du Briskar. Il se faufila sur le côté, entre une haie de buissons malingres et le mur de la structure.
Une rangée de fenêtres à la hauteur de son visage diffusait la lumière verte des blocs veilleuses de la société fermée. Cigarette entre les dents, il se soulagea, un œil sur le jet (« Gaffe au nubuck… »). Un mouvement à l’intérieur attira son attention. Il releva la tête, remonta vivement sa braguette et précipita son départ en direction du parking.
Il se tétanisa lorsqu’il aperçut une voiture entrer et se garer tout près de son recoin. Il fit un pas en arrière, jusqu’à se dissimuler dans le noir, le souffle court? « Pas question de sortir de là avant que la voie soit libre », se dit-il, un peu gêné, alors qu’il lâchait la fin de sa cigarette et la piétinait. Il entendit plusieurs portières s’ouvrir et se fermer, puis des voix étouffées qui se dirigeaient vers le bâtiment.
Lorsque le silence revint, et qu’il lui sembla que tout le monde était entré, il jeta un œil sur le parking. Une silhouette massive était toujours là, appuyée contre le capot. Un homme en costume, très grand, éclairé par les lampes du porche, et qui scrutait en direction de la route. « C’est ridicule ! Je me planque comme un gamin ! » Il imaginait déjà une explication qui justifierait sa présence à proposer à un inconnu à trois heures du matin quand les néons à l’intérieur s’allumèrent. Sa curiosité et son manque d’envie de sortir de son recoin le retinrent de bouger. Il regarda avec plus d’attention dans le bâtiment : une grande pièce, des bureaux et des chaises, des cartons empilés… Visiblement l’une de ces nombreuses sociétés sans employés depuis longtemps. Au fond, à une vingtaine de mètres à l’opposé des fenêtres, une porte à deux battants s’ouvrit subitement. Une femme fit son apparition, elle attrapa quelque chose et revint sur ses pas pour repasser la porte par laquelle elle était entrée puis elle éteignit les lumières de la pièce. Alors, comme un écran très lumineux encadré d’obscurité, il vit par la double porte laissée ouverte, un homme assis sur une chaise, les poings liés dans son dos. Un flot de pensées déferla dans son crâne : « Les flics, il faut que l’appelle les flics ! » et puis très vite « Peut-être que c’est un jeu ? Peut-être qu’il est d’accord ? » et puis « C’est quoi cet endroit ? Peut-être une boîte de cul ? ». Il ne bougea pas, bloqué dans une indécision suffocante. Un peu ailleurs, à regarder par la fenêtre, il ne sentait pas ses chaussures de peau qui se gorgeaient de rosée.
Sur sa chaise, l’homme avait la tête baissée. A cette distance, il ne voyait pas de traces de violence sur son visage, s’il y avait dû en avoir… Sa chemise blanche rayonnait sous la lumière froide des néons.
Une silhouette sombre et massive passa devant les portes et se positionna dans l’encadrement. Alors, la grande femme qu’il avait aperçue revint dans son champ de vision. Elle tenait dans la main un objet cylindrique qu’elle porta à hauteur de ses yeux. Brusquement, elle abattit l’instrument sur le cou de l’homme ligoté puis recula d’un pas. La réaction fut immédiate : le corps fut pris de tremblements brutaux, sa chaise sautait littéralement sur place ! Il avait relevé la tête tandis que des spasmes frénétiques secouaient tout son corps ! La grande femme et l’homme à la porte semblèrent s’agiter, et la vit clairement se mordre le poing. Lui s’approcha brièvement de la chaise en mouvement puis recula d’un coup, les bras en travers de la figure. « Mais c’est quoi ça ?! ». Le corps sur la chaise ne bougeait plus. La tête retombée en avant, sa chemise se gorgeait du sang qui s’écoulait en cascade de son oreille et du côté de son crâne, ouvert sur une plaie qu’il arrivait à distinguer. « Il faut que je file ! Les flics, vite ! » pensa-t-il en s’écartant des fenêtres. La terreur avait réveillé ses réflexes, ne pas être seul ! Agir ! Une voix lourde s’éleva soudain derrière lui.
– Vous passez une belle soirée, Monsieur ?
Le coup de matraque qui lui fracassa la tempe l’empêcha de répondre poliment.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}