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Citation de SZRAMOWO


La mille et deuxième nuit
Comme il avait fermé les yeux de son corps pour mieux voir le rêve de son âme, il sentit un vent léger lui rafraîchir le front ; il souleva ses paupières et vit, assise à côté de lui, par terre, Leila qui agitait un de ces petits pavillons d’écorce de palmier qui servent, en Orient, d’éventail et de chasse-mouche. Il l’avait complètement oubliée.

« Qu’avez-vous, mon cher seigneur ? dit-elle d’une voix perlée et mélodieuse comme de la musique. Vous ne paraissez pas jouir de votre tranquillité d’esprit ; quelque souci vous tourmente. S’il était au pouvoir de votre esclave de dissiper ce nuage de tristesse qui voile votre front, elle s’estimerait la plus heureuse femme du monde et ne porterait pas envie à la sultane Ayesha elle-même, quelque belle et quelque riche qu’elle soit. »

Ce nom fit tressaillir Mahmoud-Ben-Ahmed sur son divan, comme un malade dont on touche la plaie par hasard ; il se souleva un peu et jeta un regard inquisiteur sur Leila, dont la physionomie était la plus calme du monde et n’exprimait rien autre chose qu’une tendre sollicitude. Il rougit cependant comme s’il avait été surpris dans le secret de sa passion. Leila, sans faire attention à cette rougeur délatrice et significative, continua à offrir ses consolations à son nouveau maître :

« Que puis-je faire pour éloigner de votre esprit les sombres idées qui l’obsèdent ? un peu de musique dissiperait peut-être cette mélancolie. Une vieille esclave qui avait été odalisque de l’ancien sultan m’a appris les secrets de la composition ; je puis improviser des vers et m’accompagner de la guzla. »

En disant ces mots, elle détacha du mur la guzla au ventre de citronnier, côtelé d’ivoire, au manche incrusté de nacre, de burgau et d’ébène, et joua d’abord avec une rare perfection la tarabuca et quelques autres airs arabes.

La justesse de la voix et la douceur de la musique eussent, en toute autre occasion, réjoui Mahmoud-Ben-Ahmed, qui était fort sensible aux agréments des vers et de l’harmonie ; mais il avait le cerveau et le cœur si préoccupés de la dame qu’il avait vue chez Bedredin, qu’il ne fit aucune attention aux chansons de Leila.

Le lendemain, plus heureux que la veille, il rencontra Ayesha dans la boutique de Bedredin. Vous décrire sa joie serait une entreprise impossible ; ceux qui ont été amoureux peuvent seuls la comprendre. Il resta un moment sans voix, sans haleine, un nuage dans les yeux. Ayesha, qui vit son émotion, lui en sut gré et lui adressa la parole avec beaucoup d’affabilité ; car rien ne flatte les personnes de haute naissance comme le trouble qu’elles inspirent. Mahmoud-Ben-Ahmed, revenu à lui, fit tous ses efforts pour être agréable, et comme il était jeune, de belle apparence, qu’il avait étudié la poésie et s’exprimait dans les termes les plus élégants, il crut s’apercevoir qu’il ne déplaisait point, et il s’enhardit à demander un rendez-vous à la princesse dans un lieu plus propice et plus sûr que la boutique de Bedredin.

« Je sais, lui dit-il, que je suis tout au plus bon pour être la poussière de votre chemin, que la distance de vous à moi ne pourrait être parcourue en mille ans par un cheval de la race du prophète toujours lancé au galop ; mais l’amour rend audacieux, et la chenille éprise de la rose ne saurait s’empêcher d’avouer son amour. »

Ayesha écouta tout cela sans le moindre signe de courroux, et, fixant sur Mahmoud-Ben-Ahmed des yeux chargés de langueur, elle lui dit :

« Trouvez-vous demain à l’heure de la prière dans la mosquée du sultan Hassan, sous la troisième lampe, vous y rencontrerez un esclave noir vêtu de damas jaune. Il marchera devant vous, et vous le suivrez. »

Cela dit, elle ramena son voile sur sa figure et sortit.
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