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Citation de hcdahlem


INCIPIT
— Qu’est-ce que je vous sers, madame Caprile ?
— Un Alka-Seltzer.
— Votre café en même temps ou ensuite ?
— Ensuite, je vous prie.
Le San Remo est un restaurant italien qui, l’après-midi, fait salon de thé, et on peut alors y prendre une boisson chaude avec des petits gâteaux, des « pièces sèches », comme on les appelle. Habillant les murs, de hautes glaces, des trumeaux, des décors en stuc, des panneaux en bois peint représentant, dans les tons bleus, des scènes champêtres et des personnages du folklore, par exemple Arlequin. Des banquettes recouvertes de velours bordeaux. Une moquette épaisse, aux motifs géométriques, sur laquelle on a l’impression de rebondir. Au bout de la salle, la paroi vitrée donne rue des Eaux-Vives, où tombe, limpide, fluide, une lumière printanière. De l’autre côté – le San Remo forme l’angle –, l’avenue Pictet-de-Rochemont file en direction de la route de Chêne, qui conduit à Chêne-Bougeries.
Cécile Caprile est attablée non loin de la desserte des pièces sèches. À ses pieds, le sac de voyage dans lequel elle a rangé quelques affaires de montagne, des vêtements chauds. Elle consulte la carte, hésite, se demande si au lieu des sablés aux amandes auxquels elle est, dit Franck, « abonnée », elle ne goûterait pas plutôt à leur nouveauté : le délice meringué.
— Cécile, quelle surprise…
Elle redresse la tête. S’approchant d’un pas vif, une femme d’une trentaine d’années vêtue d’un tailleur gris chiné, un manteau de demi-saison pendant à son bras, un journal à la main.
— Rosy…
Cécile se lève, et les deux jeunes femmes s’embrassent. Rosy s’écarte, prend du recul :
— Montre-moi comme tu es élégante, ma chérie.
Lentement, elle détaille Cécile de la tête aux pieds – polo, pantalon corsaire serré à la taille, souliers vernis noirs –, puis :
— Je peux m’asseoir cinq minutes ?
Elle suspend son manteau au dossier de la chaise, pose le journal sur la table.
— Mais naturellement, Rosy.
Installée en face de Cécile, elle déboutonne la veste de son tailleur :
— Quelles températures nous avons, mon Dieu, pour un début d’avril. Alors, ma belle, te voilà de retour parmi nous ?
— Non, Rosy, pas exactement. Tu sais, mes parents habitent toujours là, je viens leur rendre visite tous les deux ou trois mois.
— Oui, tu me l’avais dit la dernière fois. Il y a combien de temps ? Bien quatre ans, non ?
— Environ. Et d’ailleurs ici même, au San Remo.
— Tout juste. Tu es une habituée ?
— C’est… sur le chemin… entre leur domicile et la gare…
Le garçon dépose sur la table un verre d’eau et une soucoupe contenant une pastille d’Alka-Seltzer.
— Avec le café, lui demande Cécile, pourrez-vous m’apporter votre nouveauté ?
— Le délice meringué ?
— Le délice meringué.
Se tournant vers son amie :
— Pièce sèche, Rosy ? Boisson humide ?
— Allez, je me laisse tenter… Discrète entorse à mon régime… personne n’en saura rien…
Elle déplie la carte, la parcourt en la tapotant de l’index. Cécile la regarde. Rosy et son allure, sa mentalité de petite-bourgeoise des bords du lac… Mais elle-même, Cécile, quelle est son allure, quelle est sa mentalité ? Ne fait-elle pas partie, comme les autres, de cette petite bourgeoisie des bords du lac ? Ou n’en ferait-elle pas partie, sans toutes ces complications ? Et que lit-on d’une vie sur un visage ? Que saisit-on de celle de Cécile, en quelque sorte divisée – ou multipliée – par deux depuis si longtemps ?
— Pour moi ce sera un macaron au chocolat et un thé noir.
Le serveur prend son calepin, humecte un doigt pour aller à la page suivante et se met à écrire. Une graphie appliquée, ample, stylisée.
— Tu l’as vu noter ma commande ? observe Rosy après son départ. Des pleins et des déliés, presque.
— Oui, il a toujours fait ça. Le service est long, long… Et pour peu qu’il ait à s’occuper de plusieurs clients… Un jour que je le remarquais, il m’a répondu qu’une commande joliment notée est le gage d’une commande correctement exécutée.
— Diable.
Cécile laisse tomber dans son verre le comprimé effervescent. Il tournoie sur lui-même, mû par sa propre disparition.
— Mal de tête, ma chérie ?
— Comme chaque fois que je suis de passage à Genève.
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