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Citation de GODON


Elle avait un air insensé, grave et navrant. Sa blouse déchirée montrait sa gorge nue. Elle appuyait en parlant sa main percée sur sa poitrine où il y avait un autre trou, et d’où il sortait par instant un flot de sang comme le jet de vin d’une bonde ouverte.
Marius considérait cette créature infortunée avec une profonde compassion.
— Oh ! reprit-elle tout à coup, cela revient. J’étouffe !
Elle prit sa blouse et la mordit, et ses jambes se raidissaient sur le pavé.
En ce moment la voix de jeune coq du petit Gavroche retentit dans la barricade. L’enfant était monté sur une table pour charger son fusil et chantait gaiement la chanson alors si populaire :

En voyant Lafayette,
Le gendarme répète
Sauvons-nous ! sauvons-nous ! sauvons-nous !
Éponine se souleva, et écouta, puis elle murmura :
— C’est lui.
Et se tournant vers Marius :
— Mon frère est là. Il ne faut pas qu’il me voie. Il me gronderait.
— Votre frère ! demanda Marius qui songeait dans le plus amer et le plus douloureux de son cœur aux devoirs que son père lui avait légués envers les Thénardier, qui est votre frère ?
— Ce petit.
— Celui qui chante ?
— Oui.
Marius fit un mouvement.
— Oh ! ne vous en allez pas ! dit-elle, cela ne sera pas long à présent !
Elle était presque sur son séant, mais sa voix était très basse et coupée de hoquets. Par intervalles le râle l’interrompait. Elle approchait le plus qu’elle pouvait son visage du visage de Marius. Elle ajouta avec une expression étrange :
— Écoutez, je ne veux pas vous faire une farce. J’ai dans ma poche une lettre pour vous. Depuis hier. On m’avait dit de la mettre à la poste. Je l’ai gardée. Je ne voulais pas qu’elle vous parvînt. Mais vous n’en voudriez peut-être quand nous allons nous revoir tout à l’heure. On se revoit, n’est-ce pas ? Prenez votre lettre.
Elle saisit convulsivement la main de Marius avec sa main trouée, mais elle semblait ne plus percevoir la souffrance. Elle mit la main de Marius dans la poche de sa blouse. Marius y sentit en effet un papier.
— Prenez, dit-elle.
Marius prit la lettre.
Elle fit un signe de satisfaction et de contentement.
— Maintenant, pour ma peine, promettez-moi…
Et elle s’arrêta.
— Quoi ? demanda Marius.
— Promettez-moi !
— Je vous promets.
— Promettez-moi de me donner un baiser sur le front quand je serai morte. — Je le sentirai.
Elle laissa retomber sa tête sur les genoux de Marius et ses paupières se fermèrent. Il crut cette pauvre âme partie. Éponine restait immobile ; tout à coup, à l’instant où Marius la croyait à jamais endormie, elle ouvrit lentement ses yeux où apparaissait la sombre profondeur de la mort, et lui dit avec un accent dont la douceur semblait déjà venir d’un autre monde :
— Et puis, tenez, monsieur Marius, je crois que j’étais un peu amoureuse de vous.
Elle essaya encore de sourire et expira.
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