Je voudrais comprendre ce que la société investit dans son hostilité à l'idée d'un deuil perpétuel, à l'encontre de celui qui pleure trop longtemps., de celui qui a trop aimé. Bien sûr, il y a ce que demande la vie, mais je crois qu'il peut s'agir aussi, socialement cette fois, d'un déni du réel, car perdre un être, c'est être face au réel absolu, c'est-à-dire à l'irréversible et à l'insubstituable. C'est ce que toute notre société actuelle veut oublier et recouvrir. Tout est fait alors pour que nous retournions au rêve. Celui qui insiste dans la douleur insiste auprès de quelque chose que personne ne veut voir : le réel lui-même. Et il ne s'agit pas tant de la mort que de la perte (ou de la séparation) comme fondement de notre condition. Or on veut recouvrir très vite cette apparition du réel. On s'en rend bien compte lors des funérailles. Le discours proposé n'est pas tant de consolation que de réparation. Pas seulement "je compatis" mais, d'une façon paniquée et presque agressive, on ravaude le tissu social : "ça va aller".
Extrait de l'article "qu'est ce que faire son deuil ? " Philosophie magazine novembre 2014