Et soudain, elle se sentit jetée contre un sol humide. Elle se retrouva à genoux dans une clairière sombre et aux contours flous. Les arbres ressemblaient à des fantômes ivres qui jetaient des feuilles aux veines d’argent tout autour. Elle leva la tête et le vit. Sa silhouette robuste la dominait, un guerrier, un chef. Son masque dégoulinait de sang et de flammes, le bois craquelait rendant impossible à reconnaître l’animal dont il tentait d’imiter le faciès, mais deux cornes en arc l’encadraient et révélaient sa vraie nature.
L’Aurochs se pencha sur elle et retira son masque.
Un mélange de boue et de cendre recouvrait entièrement le sol. Baignant dans cette mélasse infâme, des os humains en grande partie carbonisés saillaient comme des épines blanches et lugubres. Une odeur indéfinissable, oscillant entre âcreté et pure pestilence, flottait en compagnie des particules grises et blanches. Il se tenait immobile, atterré. Les illusions, les espoirs, l’âme humaine... Rien ne survivait ici.
La vie possédait cela de tenace qu'elle s'accrochait à vous dès que le moindre fragment d'espoir se profilait.
"Alors, les flammes embrasèrent la Chimère. Dans son agonie, la créature merveilleuse exhala cinq souffles : le premier fit naître l’élémentaire de Feu, le second l’Eau, le troisième le Métal et la pierre, le quatrième la Nature et le cinquième, enfin, la Lune...
Puis, le corps de la Grande Mère s’effondra dans l’océan. Il se disloqua, il devint les continents, il se transforma en péninsules et en îles, il composa toutes les terres émergées. Et de ses cendres jaillit la vie."