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Citation de Nieva


Mais d’abord, cette constatation très élémentaire : une société, c’est un groupe de gens vivant certains buts, tandis que vous, qui écrivez en votre propre nom, de votre propre main, vous êtes unique. En tant qu’individu, vous êtes un homme que nous avons toutes les raisons de respecter ; un homme qui fait partie de cette confrérie à laquelle (de nombreuses biographies l’attestent) beaucoup de nos frères ont appartenu. Ainsi, Anne Clough, décrivant son frère, écrit : « Arthur est mon meilleur ami, mon meilleur conseiller. […] Arthur est le réconfort, la joie de mon existence ; c’est pour lui, c’est de lui que me vient ce désir de rechercher ce qui est beau, enrichissant. » À quoi William Wordsworth répond, à propos de sa sœur, mais faisant écho à l’autre voix comme un rossignol en appellerait un autre dans les forêts du temps passé :
 
La bénédiction de mes dernières années
Accompagne mes souvenirs d’elle lorsque j’étais enfant.
Elle me donnait des yeux, elle m’offrait des oreilles ;
Et d’humbles soins, et des craintes délicates ;
Un cœur, fontaine de douces larmes ;
Et de l’amour, et des pensées, des joies.

Telle était, telle est peut-être encore, la relation entre bien des frères et des sœurs dans la vie privée. Ils se respectent mutuellement et s’aident mutuellement et poursuivent les mêmes buts. Alors, si, comme le prouvent les biographies et la poésie, une telle relation leur est possible dans la vie privée, pourquoi leurs relations publiques sont-elles si différentes, comme le prouvent les lois et l’Histoire ? Et sur ce point, il n’est guère nécessaire, puisque vous êtes un homme de loi avec une mémoire d’homme de loi, de vous rappeler certains décrets de la législature anglaise qui, dès les premiers documents jusqu’en 1919, démontrent que les relations publiques entre frères et sœurs ont toujours été très différentes de leurs relations privées. Ce terme même de « société » déclenche dans la mémoire cette sinistre musique de cloches discordantes : vous ne ferez pas, vous ne ferez pas, vous ne ferez pas. Vous n’apprendrez pas ; vous ne gagnerez pas d’argent ; vous ne posséderez pas ; vous ne – telle était la relation sociale de frère à sœur durant bien des siècles. Et s’il est possible (et probable pour les optimistes) qu’avec le temps une société nouvelle fasse entendre le carillon d’une harmonie suprême, et votre lettre semble en être un signe avant-coureur, ce jour est encore très lointain. Comment éviter alors de vous demander s’il n’existe pas chez les gens groupés en société quelque chose qui déclenche ce qu’il y a de plus égoïste et de plus violent, de moins rationnel et de moins humain chez les individus eux-mêmes ? Il est inévitable que nous considérions cette société si bonne à votre égard, si dure envers nous, comme une société mal conçue, qui déforme la vérité, déforme l’esprit, altère la volonté. Inévitablement nous considérons la société comme un lieu de conspiration qui engloutit le frère que beaucoup d’entre nous ont des raisons de respecter dans la vie privée, et qui impose à sa place un mâle monstrueux, à la voix tonitruante, au poing dur, qui, d’une façon puérile, inscrit sur le sol des signes à la craie, ces lignes de démarcation mystiques entre lesquelles sont fixés, rigides, séparés, artificiels, les êtres humains. Ces lieux où, paré d’or et de pourpre, décoré de plumes comme un sauvage, il poursuit ses rites mystiques et jouit des plaisirs suspects du pouvoir et de la domination, tandis que nous, « ses » femmes, nous sommes enfermées dans la maison de famille sans qu’il nous soit permis de participer à aucune des nombreuses sociétés dont est composée sa société.
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